(Re)Génération dub
S’émanciper du reggae sans rompre complètement le lien naturel et historique qui le rattache au dub, telle est la réflexion musicale engagée par Zenzile et Improvisators Dub, deux formations pionnières en France qui apportent des réponses différentes sur leurs albums respectifs Modus Vivendi et W.I.C.K.E.D.
Zenzile et Improvisators Dub passent le reggae à la moulinette
S’émanciper du reggae sans rompre complètement le lien naturel et historique qui le rattache au dub, telle est la réflexion musicale engagée par Zenzile et Improvisators Dub, deux formations pionnières en France qui apportent des réponses différentes sur leurs albums respectifs Modus Vivendi et W.I.C.K.E.D.
C’était à l’époque des 45 tours : à la fin des années 60, un producteur jamaïcain décide de placer sur la face B des disques les versions instrumentales des chansons figurant en face A. Sans le savoir, il vient de dessiner la porte d’un nouvel univers musical que vont rapidement commencer à explorer les ingénieurs bidouilleurs des studios de Kingston. Ainsi naît le dub, un remixage basé sur quelques principes de déstructuration saupoudrés d’une poignée d’effets, sur disque comme en concert.
Lorsque la scène foisonnante du reggae français gagne en visibilité à la fin des années 90, les groupes de dub sortent eux aussi de l’ombre et profitent en partie de cet engouement soudain. Même s’ils ont parfois eu la sensation de ne pas faire vraiment partie de la famille. «Quand on a commencé, les gens du reggae nous regardaient d’un drôle d’œil. Ils nous prenaient pour des rock’n’rolleurs maquillés. On n’a pas pris le train en marche et pourtant on a connu ce rejet-là», se souviennent les Bordelais d’Improvisators Dub, qui fêtent en 2005 leurs dix années d’activité avec le double album W.I.C.K.E.D.. «En France, on peut être fier d’avoir une scène de groupes de dub qui se distingue par un véritable éclectisme musical», soulignent ces pionniers du mouvement dans le pays.
Le dub pour tous
 
Cette diversité est sans doute l’une des raisons pour lesquelles aujourd’hui le dub français se porte bien, contrairement au reggae qui n’a pas su trouver les moyens de résister lorsque le soufflet provoqué par l’effet de mode est retombé plus vite encore qu’il n’était monté. «C’est peut-être plus facile de composer des instrumentaux et de les mixer que d’écrire des paroles qui sont intéressantes», s’interroge Yves, l’ingénieur du son d’Improvisators Dub. «Le dub en lui-même est un territoire plus libre que le reggae», fait remarquer de son côté Matt, bassiste du groupe angevin Zenzile qui sort son quatrième album Modus Vivendi. «Pour moi, ajoute-t-il, la scène reggae marchait très fort surtout en raison de son aspect festif plus que pour son aspect défricheur et intéressant musicalement. Je ne me rappelle pas avoir vu des groupes français emmener le reggae là où il était déjà avec les Jamaïcains. Le principe du dub, c’est d’être un peu novateur. C’est aussi un style musical qui permet les rencontres et l’ouverture à l’autre, alors que le reggae est quand même une formule plus figée, avec quelques canons desquels tu ne peux pas trop t’éloigner si tu veux que ça sonne. Dans le dub, tu peux instiller des influences qui ne sont pas forcément évidentes au premier abord : c’est beaucoup plus facile d’y mettre de l’électro que dans le reggae.»
Grâce à sa capacité à intégrer toutes sortes d’éléments musicaux, le dub peut aussi s’appuyer sur un public ambivalent : d’un côté les fans de reggae attiré par son côté sombre, de l’autre ceux qui viennent du monde de l’électro voire de la techno. Si bien que, tout en restant à l’écart des projecteurs médiatiques et dans un marché du disque en pleine crise, le genre est tout à fait rentable : en six ans, les ventes cumulées par Zenzile approchent la barre des 100 000 exemplaires, dont 20 000 pour le précédent album Totem et 10 000 pour chacun de leurs CD 4 titres, format réputé risqué, pourtant.
Par définition, le chant est absent du dub. Et c’est pour ne pas être contraint de construire leurs compositions autour d’une partie chantée que les membres de Zenzile – qui confessent également ne pas savoir jouer et prendre le micro en même temps – se sont lancés en 1996 dans l’aventure osée du dub. Mais ils ne sont pas allergiques aux voix et n’hésitent pas à leur faire une place dans leur répertoire. La dub poète américaine Jamika n’en n’est pas à sa première collaboration avec eux. C’est après l’avoir rencontrée sur scène en Grande-Bretagne que le groupe a démarré sa série 5+1 (les 5 musiciens et un invité) en 2000, et il n’est guère surprenant de la retrouver sur leur nouvel album. Tout comme Sir Jean, chanteur du groupe français Meï Teï Shô, qui avait été lui aussi invité sur un autre volume de la série 5+1. «On sait qu’on les a mariés à notre son, qu’on aime bien travailler ensemble. Donc on continue», résume Matt. La présence de voix sur le W.I.C.K.E.D. d’Improvisators Dub ne résulte pas de la même démarche, bien que la participation des chanteurs Humble I, Ras I et Asney - figure de la scène reggae bordelaise -, soit avant tout une histoire de rencontres et d’amitié. Pour ses dix ans, le groupe a eu envie de s’inscrire dans la coutume jamaïcaine, ou plutôt de la renverser en faisant des morceaux dub puis leurs versions chantées. «C’est beaucoup plus facile de faire un dub par rapport à un reggae que de créer un dub à partir de rien», explique Manu, guitariste d’Impro.
Au-delà de la Jamaïque
 
La phase du mixage, après les sessions d’enregistrement, est essentielle, déterminante pour ces formations dont la spécificité repose sur le traitement du son. Zenzile y a consacré près d’un mois et demi pour finaliser Modus Vivendi, un disque sur lequel le lien avec le dub jamaïcain parait plus distant que par le passé. «C’est une réalité», reconnaît Matt. «On s’est éloigné du dub jamaïcain et de son esprit reggae pour aller vers un esprit plus rock. On va aujourd’hui sur des terrains qui sont plus dans l’après-reggae, passé à la moulinette des punks anglais. On se rend compte que les ambiances qui nous plaisent sont plus climatiques, plus mélancoliques. On a peut-être aussi un penchant pour les tonalités plus mineures. Et quand on écoute les bandes à la fin du travail en studio, au moment de faire le tracklisting final, on privilégie l’ensemble et la cohérence plutôt que le nombre.» Le choix, cette fois, s’est fait au détriment des titres les plus reggae, qui n’ont pas pour autant été totalement écartés : ils ont été confiés à un sound system français chargé de trouver un artiste jamaïcain qui posera sa voix sur ces morceaux. Les traditions ne disparaissent pas si facilement…
En concert : Improvisators Dub le 12 mai au nouveau casino
Zenzile les 15 et 16 avril à la maroquinerie
Zenzilé Modus vivendi (Supersonic) 2005
Improvisators dub W.I.C.K.E.D (Supersonic) 2005
 
      
   
      
   
      
   
      
   
             
             
             
            