Benjamin Biolay
Après s'être, malgré lui, forgé une image de petit prince de la chanson, génial mais un rien snob, compositeur de ces dames (Gréco, Hardy, Lagrange), chuchoteur mollasson derrière sa mèche brune, Benjamin Biolay se lâche. Pour A l'origine (Virgin/EMI), troisième CD solo, le musicien ouvre les vannes de son inspiration et de sa personnalité. Plus rock, plus trouble, plus assumé. Passionnant.
A l'origine
Après s'être, malgré lui, forgé une image de petit prince de la chanson, génial mais un rien snob, compositeur de ces dames (Gréco, Hardy, Lagrange), chuchoteur mollasson derrière sa mèche brune, Benjamin Biolay se lâche. Pour A l'origine (Virgin/EMI), troisième CD solo, le musicien ouvre les vannes de son inspiration et de sa personnalité. Plus rock, plus trouble, plus assumé. Passionnant.
La pochette représente les limbes de son inconscient : un entremêlement noir et blanc de visages et de formes obscures, signé par le duo de graphistes M/M (qui copie là un travail similaire pour Björk). On redoute le labyrinthe intellectuel. A contrario, on a un disque, certes inquiet, mais abondant, vivant, éclatant.
L'album est d'abord remarquable par sa richesse musicale : de la pop bien sûr, un rock plus appuyé, des programmations luxueuses, un petit ska (Cours !), des ballades, des voix, d'enfants, de femmes, des chœurs, des cordes. Six morceaux ont même été mis en boite à Lyon, dans une église au nom prédestiné pour ce fan des serial killers : Notre-Dame des Macchabées. Dans le premier extrait du CD, le confessionnel l'Histoire d'un garçon ("Le pétale ou l'épine / Le soleil ou l'ombre / Je ne sais que choisir /J'ai peur de creuser ma tombe"), le refrain part en une escalade sympho-rock. Idem sur Ma chair est tendre ou Mon amour m'a baisé d'où surgit une rythmique énergique, tubesque. Guitares offensives, batterie puissante, Biolay attaque. Sa voix, jusque-là quasi-clandestine, s'affirme. Les poumons s'ouvrent (un peu).
Spleen urbain
La grande nouveauté, c'est aussi un son urbain, électro, qui habille une partie de l'album. Comme une pluie noire. Biolay se colle aux machines sur l'inquiétant l'Appât ainsi que sur Tant le ciel était sombre, titre dense, sinistre mais si lyrique, où se croisent chœurs d'enfants, orchestre classique, rock et électro. Boombass assure les programmations de trois titres dont A l'origine, inspiré par les angoisses de la paternité (Biolay dédie l'album à sa fille). Le titre se clôt dans un amas maîtrisé de sons et de cris d'enfants qui n'est pas sans rappeler la fin désintégrée de A Day in The Life des Beatles, remerciés dans les notes. La noirceur urbaine transpire également dans la ténébreuse électricité de Ground Zero bar, une vision perso du 11-Septembre : "Une prière pour nos héros, car dans ce repère de tocards, on y vient même en autocar, Au Ground Zero bar…"¹.
Pas de CD de Biolay sans mélodies troublantes. Avec Françoise Hardy, pour laquelle il a signé trois titres l'automne dernier, il partage un mélancolique duo, Adieu triste amour. Mais la chanteuse place aussi sa voix anonyme sur Mon amour m'a baisé. Un rien cafardeuses (Mes peines de cœur, Me voilà bien), parfois souffrantes (Même si tu pars aux airs de Murat), ces complaintes touchent au vif. Si Biolay sait user des mots justes, c'est aussi pour, peut-être, dire sa rancune à son ex-acolyte, Keren Ann, selon lui, oublieuse de leur collaboration passée : "Dans mon dos, tu te répands / En toute occasion tout l' temps /Tu jures à qui l'entend que j'adore le goût du sang (...)Mademoiselle répand la rumeur ordinaire / La main sur le cœur" (Dans mon dos). Et le titre Ma chair est tendre ne serait-il pas une œillade vers l'album Ma chère et tendre de Henri Salvador, les relations des deux hommes étant orageuses depuis quelques mois ?
Etre à part
Cet album sera-t-il celui du succès populaire ? Plus accessible, plus enlevé, fort de mélodies faciles à retenir, A l'origine peut séduire plus de monde. Mais Biolay, qui confesse être "très hermétique à Bénabar et à tous les trucs rigolos festifs pour soirées étudiantes"² soigne sa singularité. Il préfère Camille, Florent Marchet et Emilie Simon, ceux qui selon lui, innovent et non recyclent. Ses ventes (70 000 pour le premier CD, 100 000 pour le second) n'ont jamais concurrencé un Sanseverino (200 000 albums pour le Tango des Gens) ou un Delerm (400 000). Mais le garçon s'en moque. Selon lui, son bonus sur les autres, c'est de multiplier les emplois : l'écriture et l'arrangement (Elsa, Hardy, Gréco, Boulay, Mounier, Clerc, Winter&Bogue, ...), le cinéma ( la B.O. de Clara et moi d'Arnaud Viard), un roman à la rentrée chez Denoël, un Home 2 plus axé sur son épouse Mlle Mastroianni, l'album de la jeune Daphné (V2) et un clip réalisé par Claire Denis. Que demander de plus ? L'Amérique ? Il l'a ! A l'origine est son premier CD sorti aux Etats-Unis (entre autres) sans besoin d'un label import et le 27 mars, le New York Times lui a consacré un long article sous le titre Le Pop Star. Biolay s'y défend avec vigueur d'être l'héritier de Gainsbourg. Et pourtant ...
Benjamin Biolay A l'Origine (EMI/Virgin) 2005
¹ A ce propos, il est intrigant de découvrir l'inédit et étonnant titre Mr Président signé Biolay et Boom Bass disponible uniquement sur le site misterpresident.net. ² Forum du site de fans kerenann.net/bbiolay/forum auquel l'artiste participe parfois.