L'escapade de Delerm, la Simone et Boogaerts

Le Printemps de Bourges appelle cela des "escapades". L’année dernière se sont inventées ces journées au cours desquelles des spectateurs partent de Bourges dans des autobus à impériale en direction de lieux touristiques du département du Cher, avec au bout de la promenade un concert exceptionnel. Ainsi sont programmés cette année des escapades avec Jean-Louis Murat ou Camille, mais aussi un événement curieux, jeudi après-midi aux caves de Sancerre : un concert commun de Vincent Delerm, Albin de la Simone et Mathieu Boogaerts.

Une belle formule de concert

Le Printemps de Bourges appelle cela des "escapades". L’année dernière se sont inventées ces journées au cours desquelles des spectateurs partent de Bourges dans des autobus à impériale en direction de lieux touristiques du département du Cher, avec au bout de la promenade un concert exceptionnel. Ainsi sont programmés cette année des escapades avec Jean-Louis Murat ou Camille, mais aussi un événement curieux, jeudi après-midi aux caves de Sancerre : un concert commun de Vincent Delerm, Albin de la Simone et Mathieu Boogaerts.

 

 Un peu plus cinq cents spectateurs, donc, qui se sont enfoncés sous terre, à flanc de coteau, dans le bel espace taillé dans le roc des Caves de la Mignonne. Sur scène, un piano électrique Fender Rhodes, une batterie, un portrait ancien, une lampe et quelques objets d’intérieur XIXe siècle. Vincent Delerm époussette. Albin de la Simone arrive, moustache d’élégant Belle époque, chante Tu es là en solo au clavier. Puis Mathieu Boogaerts paraît, collier de fleurs et moustache, pour Las Vegas. Delerm sort dans la coulisse et revient, chante Catégorie Bukovski en luttant contre une moustache qui refuse de rester collée, pendant que amis l’écoutent, sagement assis en fond de scène.

Les trois messieurs à moustaches – enfin, Delerm a définitivement perdu la sienne – saluent le public et quittent la scène, comme pour une fin de concert. Lorsqu’ils reviennent, sans leurs oripeaux de théâtre, Mathieu Boogaerts s’installe à la batterie, Vincent Delerm prend la basse et Albin de la Simone s’installe au clavier : c’est J’ai changé, troublante chanson qui ouvre le prochain album d’Albin, qui sortira début mai. Puis Albin et Vincent échangent leurs instruments pour accompagner Mathieu qui chante J’sais pas où t’es partie (un extrait de son nouvel album, Michel, qui vient de sortir) tout en jouant de la batterie. Vincent, toujours au Rhodes, suit avec Quatrième de couverture, qu’une bonne part du public connaît assez bien pour l’accompagner de bout en bout de chœurs spontanés. Et ceux-ci sont d’autant plus pétulants qu’Albin et Mathieu donnent à la chanson une rythmique plus enlevée que sur l’original et lors des concerts de l’actuelle tournée de Delerm.

 

 On comprend très vite, d’ailleurs, quel est l’intérêt que trouve ces trois musiciens à une telle rencontre en scène, au-delà du plaisir partagé entre copains : ce sont des nouvelles visions des chansons qui émergent, tant les approches d’interprétation des trois chanteurs sont différentes. Albin de la Simone, musicien virtuose et arrangeur d’exception, se concentre certainement plus sur l’ornementation, le commentaire musical des chansons. Mathieu Boogaerts est obsédé par les surprises, les petits gestes obliques, les aspérités, les rubatos qui relancent l’attention dans une écriture et un jeu en scène souvent très étales, très relâché : aussi, dans la position du batteur, travaille-t-il entre le précis et le fantasque. Et Vincent Delerm, qui est toujours l’unique arrangeur et interprète de ses chansons en public, doit-il partager les points de vue : lui qui est toujours concentré sur le sens des chansons, l’expression du chant, l’apport de son piano au dessin des personnages et des situations, il voit intervenir des fantaisies, des contre-pieds, des commentaires dont la logique musicale ou humoristique n’est pas forcément celle qu’il avait imaginée au départ. Situation stimulante pour le chanteur mais aussi pour le public, un peu désarçonné dans son interprétation collective des Filles de 1973.

 

    En un peu plus d’une heure de concert et une grosse quinzaine de chansons, Delerm, la Simone et Boogaerts baguenaudent donc dans leurs répertoires avec une belle santé et une désinvolture délicieuse. Ainsi, on gardera mémoire d’un solo à la fois ridicule et pertinent d’Albin de la Simone à la guitare (ce n’est vraiment pas son métier !) citant le vieux classique Salade de fruits sur Natation synchronisée. Et la révélation de Na na na par Vincent Delerm et Mathieu Boogaerts, exercice d’autodérision et de mise en boîte des questions stéréotypées des journalistes en interview, qui figure sur le double-CD de duos des artistes Tôt ou Tard, qui doit paraître également dans quelques semaines.

Et ensuite ? Eh bien rien. Ce concert devrait rester unique, les trois chanteurs comme leurs entourages respectifs affirmant que le concert de Sancerre était exceptionnel. Mais on a bien cru voir, çà et là dans la salle, des caméras qui filmaient...