Kery James

Du rappeur provocateur à l’Alix Mathurin repenti, Kery James a trouvé l’équilibre. Il livre Ma vérité un second opus en solo dans lequel se conjuguent la maîtrise du phrasé et la pertinence de textes acérés.

Ma vérité

Du rappeur provocateur à l’Alix Mathurin repenti, Kery James a trouvé l’équilibre. Il livre Ma vérité un second opus en solo dans lequel se conjuguent la maîtrise du phrasé et la pertinence de textes acérés.

      Culte de la "racaille" sans foi ni loi, lyrics hardcores et inconscients illustrés par les stéréotypes de la bimbo en string et les sempiternelles mises en scènes de violences "faciles", l’image du hip hop français en 2005 s’est esquintée à coup de clichés alimentés par les acteurs mêmes du mouvement. Paradoxe de l’autodestruction ? Kery James pose un regard conscient et fraternel sur notre époque après 26 années de maturation. "Une chose est sûre c’est que tout le monde en France ne part pas avec les mêmes atouts dans la vie, mais tout le monde n’a pas non plus la maturité nécessaire pour recevoir cette information et ne pas s’en servir comme prétexte à la violence". De La vie est brutale, son premier maxi avec Idéal J en 1992, à Ma Vérité, Kery James est passé du statut de jeune délinquant à la prose acerbe, à rappeur serein et militant. Le juste milieu entre un passé inscrit au coeur du banditisme urbain depuis la banlieue d’Orly, et sa prise de conscience fondamentale à travers l’islam.

En 1999, Alix devient Ali pour les intimes. Le rappeur se convertit à la religion musulmane suite à la mort violente de son ami Las Montana, figure forte du collectif La Mafia K'1 Fry, et abandonne Idéal J. Ces aspirations ne correspondent plus au propos du groupe maintes fois censuré – tête de proue du hip hop underground, le groupe fait alors office de porte-parole incisif pour toute une génération en mal d’expression, un débit percutant et survolté porté par les instrumentaux de DJ Mehdi. Des textes trash, trop pour Kery, qui choisit de tirer un trait sur son passé noirci pas la haineDans Le combat continue, le deuxième album d’Idéal J qui propulsa Kery James au rang de rappeur hors pair au phrasé percutant, il écrivait déjà ne pas vouloir mourir avant que sa foi soit concrétisée. Convaincu que le témoignage de sa vie pourrait être utile, il signe en 2001 Si c’était à refaire, un premier opus solo dans lequel les instruments à cordes et à vent sont proscrits au profit d’une palette de percussions. Il y raconte son errance, l’idéalisation absurde de la violence et surtout sa prise de conscience à travers la religion. Un concept-album, annoncé comme le dernier du rappeur repenti.

Le fond et la forme

 

 En quatre ans, Kery James a pris le temps de mûrir son propos et revient avec Ma vérité, un album abouti et sincère. "À l’époque de Si c’était à refaire, j’étais plus dans une responsabilisation de l’individu, une remise en question. Aujourd’hui, j’ai à nouveau envie d’être performant, de soigner le fond et la forme, de travailler des flows différents, d’être compétiteur". Un retour qui amorce le début d’un cycle où propos conscients et rap affiné s’équilibrent. "Choisir ce métier c’est aussi avoir de l’influence sur les gens, autant qu’elle soit bonne ! Je suis malgré moi sur une mission d’éducation des miens, défendre la vérité, combattre l’injustice et essayer de réparer mes erreurs". Kery James milite contre l’ignorance et la violence sous toutes leurs formes. Dans C’est votre choix, il dépeint avec minutie les effets de l’abrutissement télévisuel, dans Jusqu’à quand et jusqu’où ?, Kery dénonce la désinformation autour de la guerre en Irak, "ils ont démontré au monde entier qu’on peut opposer la force à la vérité " et les conséquences du 11 septembre chantées sur un instrumental reggae en clin d’oeil à son apparition dans le premier album de MC Solaar, "je ne veux pas aller au service militaire... ", les amateurs apprécieront ce retour au sources.

 

    Préjugés complaisants et banalités consensuelles, Kery James se libère de tous les clichés, au risque d’en déconcerter plus d’un. "Dans je revendique - une réadaptation du célèbre Rebel Without A Pause de Public Enemy par DJ Mehdi - je dis que certains flics ont la gachette facile mais aussi que certains jeunes insultes la police pour que dalle et se comportent dans la rue en vandale. Je veux être juste avec tout le monde". L’album s’ouvre sur le percutant J’aurais pu dire, un titre écrit à la manière d’un freestyle qui révèle une technicité rôdée, des accélérations piquantes, un ton mordant et une maîtrise sans faille. L’album entier surprend et détonne, une vraie claque au service du hip hop, de la nouvelle génération, un souffle ravageur contre les préjugés trop longtemps entretenus par le gangsta rap et la vénération du bad boy. Pour couronner le tout Kery James reprend la forme de son célèbre Hardcore, publié en 98 à l’époque d’Idéal J, pour y énoncer ses nouvelles vérités. La boucle est bouclée, Kery James excelle plus que jamais.

Kery James Ma vérité (Up Music/Universal) 2005