Boubacar Traoré
De quoi demain sera-t-il fait ? Seul Dieu le sait ! Ainsi va Boubacar Traoré. Il parle de Kongo Magni, son nouvel album, avec un certain détachement, qui en dit long sur ses désillusions. L'humble bluesman du Mali sera en concert ce soir au New Morning à Paris.
Sans plan de carrière
De quoi demain sera-t-il fait ? Seul Dieu le sait ! Ainsi va Boubacar Traoré. Il parle de Kongo Magni, son nouvel album, avec un certain détachement, qui en dit long sur ses désillusions. L'humble bluesman du Mali sera en concert ce soir au New Morning à Paris.
Bien sûr, il se sent fier de Kongo Magni, son cinquième album, dans lequel il s’est entouré d’amis pour rajouter des couleurs à son univers (notamment Vincent Bucher, à l’harmonica et Régis Gizavo, à l’accordéon). Mais il est tout autant fier de ses enfants qui lui ont fait de beaux petits enfants, de sa maison à Bamako où il coule des jours paisibles. Il y aura-t-il un album après celui-ci ? Peut-être, peut-être pas. "Continuer la musique ne dépend pas nécessairement de moi. Ce sont les producteurs qui décident. De toute façon, je peux vivre sans musique, je peux me débrouiller sans elle". Boubacar Traoré sait que la vie est un chemin de hasards, bons ou mauvais. Son surnom, Kar Kar, il le tient de l'époque où il était une gloire locale du football, à Kayes, au Mali. Au début des années 1960, il est connu de tous les Maliens. La radio n’arrête pas de diffuser son tube : Mali Twist. Il y invite ses compatriotes à se retrousser les manches pour reconstruire le pays après l’Indépendance. Puis il disparaît du paysage musical. On l’oublie. Quand le destin lui fait un croc-en-jambe, en lui enlevant Pierrette, déchiré, il part ailleurs. En France. Il y chante dans les foyers. Sa rencontre avec un producteur anglais sera pour lui le tremplin d’une seconde vie.
En Angleterre, il enregistre deux albums, Mariama et Kar Kar. Des concerts s’enchaînent, en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis. Bref, sa douleur, plutôt que de la laisser le déstabiliser, il s’en sert comme d’une force. Il entame une seconde carrière après un long silence. Le Mali découvre que son héros oublié est toujours là et bien là. Sur l’initiative de la Revue Noire, revue française luxueuse dédiée à l’art contemporain africain et caribéen, il enregistre un nouvel album auquel participent Ali Farka Touré, Toumani Diabaté et Kélétigui Diabaté. D’autres suivront. Peu, "car il faut avancer doucement". Rien ne sert de courir, de planifier, de prévoir. "J’ai dépassé les 63 ans, mais je suis solide, lâche-t-il dans un sourire. Néanmoins, la mort peut venir quand elle veut. Je suis aujourd’hui un homme comblé". Flatté de constater des salles de concert remplies quand il chante, de voir un livre (Mali Blues de Lieve Joris, paru chez Actes Sud), un film (Je chanterai pour toi, réalisé par Jacques Sarasin) qui parlent de lui, mais sans joie excessive. Passer un moment en sa compagnie, c’est comme une belle rencontre avec la mélancolie.
Chanteur parmi les plus respectés au Mali, Boubacar Traoré est un homme attachant, d’une extrême pudeur, un coeur à apprivoiser. Les douleurs qui affleurent dans son regard, il ne les exhibe jamais. Je chanterai pour toi est le titre de l’une des chansons dédiées, comme beaucoup d’autres, à Pierrette, son épouse disparue. "Dounia Tabolo", les gens meurent mais la vie continue, chante-t-il dans Kongo Magni. Malgré le départ des être chers, le désir de vivre doit rester le plus fort dit Boubacar Traoré, en pensant à sa dernière petite fille. La musique n’a pas de sens sans message, insiste-t-il. Le nouvel album reprend des thèmes qui lui sont chers. Il permet de décrypter davantage ce qui anime cet homme secret. Il y parle de plaies parasitant le long fleuve tranquille que devrait être la vie : la jalousie, la guerre et son cortège de famines et d’épidémies. Il chante la bravoure des cultivateurs et éleveurs maliens, sources vives du pays, reprend un titre, donné par son grand-frère, composé pour le premier anniversaire de l’indépendance du Mali, ou une chanson traditionnelle rappelant le nécessaire espoir que représentent les enfants pour sauver l’humanité. Il évoque la liberté, l’amour et puis… Pierrette bien sûr. La voix ample et chaude, en s’accompagnant de sa guitare, il chante ces ballades, ce style épuré qu’on lui connaît.
Des airs inspirés de la tradition Kassonké de sa région natale. Du blues ? Si l’on veut appeler ça comme cela, pourquoi pas. "C’est un mot inventé par les Américains que tout le monde connaît" alors que les termes en bamadan, plus appropriés pour désigner sa musique, là c’est une autre histoire. Kar Kar garde toujours une certaine distance avec les rouages du métier d’artiste. Expliquer sa musique, défendre son nouvel album, c’est un exercice dont il se passerait sans doute volontiers. Alors, quand les silences deviennent de plus en plus présents entre les phrases, on sait qu’il est temps de prendre congé. Les projets, les concerts à venir ? "Je ne sais pas. Ils ont dit qu’il y en avait, mais je n’ai pas vu le planning. S’il y en a, c’est bien, sinon ce n’est pas très grave".
Boubacar Traoré Kongo Magni (Marabi / Harmonia Mundi) 2005