ERIC LE LANN

Double actualité pour le trompettiste Eric Le Lann. Sortie de Play Jobim, année du Brésil oblige, mais aussi du très personnel et très remarqué Origines. Une rencontre violemment heureuse entre les voix de son terroir et le souffle de sa trompette. A 48 ans, ce Breton non bretonnant renoue avec ses ancêtres nés à Ouessant ... au milieu de la mer.

Né au milieu de la mer

Double actualité pour le trompettiste Eric Le Lann. Sortie de Play Jobim, année du Brésil oblige, mais aussi du très personnel et très remarqué Origines. Une rencontre violemment heureuse entre les voix de son terroir et le souffle de sa trompette. A 48 ans, ce Breton non bretonnant renoue avec ses ancêtres nés à Ouessant ... au milieu de la mer.

 

 Photographié en imper noir la tête dans les nuages, seul et face aux éléments, Eric Le Lann s’affiche dans le paysage de son enfance : la Bretagne. Cette Bretagne natale dont il part le coeur léger il y a déjà trente ans, pour venir jouer sa musique à Paris. A l’époque, d’ailleurs, il ne dit pas qu’il est breton. D’abord parce qu’il s’en fout, mais surtout parce que ce n’est pas très vendeur. Le stéréotype du Breton rustique, alcoolique et têtu, fonctionne alors encore très bien chez les Parisiens "têtes de chien". Trente ans après sa réputation n’est plus à faire. Eric Le Lann fait partie de ces instrumentistes héritiers de Miles Davis et Chet Baker, notes lumineuses, sensuelles et velours. Mais il sait aujourd’hui nous surprendre avec un album Origines si personnel que personne ne voulait produire et qui ravit celles et ceux qui ont quelque chose entre les oreilles.

Tout a commencé sans qu’il le sache par cette location de maison du côté de Quimper. C’était il y a dix ans. Il tente alors le rêve absolu : vivre entre Paris et la Bretagne. Et il trouve l’équilibre, se ressource sans pour autant perdre contact avec le milieu artistique. Là-bas, il fait partie du grand tout, il ne connaît presque personne. Tant mieux, cela le repose de la frénésie de la capitale. Il vit sa musique, surtout. Puis voila trois ans, il y a cette proposition de Jean-Pierre Pichard, du festival Interceltique de Lorient. Tous les trois ans, Pichard donne une carte blanche à un musicien de jazz. Eric Le Lann est mûr, c’est le bon moment. Il n’a toujours pas envie de se mettre au breton que parlait couramment son grand-père, en revanche il se sent parfaitement inspiré par cet univers magique et âpre constitutif de la culture bretonne ... (lui qui n’a mis qu’une fois les pieds à un fest noz dans sa vie !)

 

    L’inspiration est ancestrale, elle remonte du plus profond des tripes et du coeur ... et de l’enfance des contes. Il contacte deux voix. Une Italienne née à Lannion, Marthe Vassalo, diva des fest noz et chanteuse à l’opéra de Rennes. Et un gars de Brest, Manu Lann Huel, autodidacte et chanteur à texte. Eric Le Lann compose pour eux, et leur demande les paroles. Pour cette musicalité de la langue qu’il aime tant. Résultat, neuf titres aux accents militants "Non, nous dirons non au combat, Non. Oui ! Non au combat au nom de l’argent". Féeriques "Il fait nuit dans la salle, les rideaux sont tirés. Le château a perdu le valet en même temps que le maître". Ou traditionnel, "Le grain de blé".  Une atmosphère unique imaginée par Eric Le Lann : "C’est vraiment un disque composé, arrangé pour le chant, en voulant garder tous les accents de la langue bretonne. La trompette existe à égalité avec les deux autres voix, elle n’accompagne pas. Ce n’est pas du tout une fusion, chacun garde son expression propre, et les choeurs donnent une autre dimension à nos trois voix, soulignées aussi par le piano de Francis Lockwood".

 

 Si le projet est atypique, il est néanmoins convainquant, et défendu par la presse. Mais il faudra attendre encore un peu pour les tournées à l’étranger, car dans cette affaire, aucun tourneur ne veut s’engager ! Autre invitation au voyage, le projet Play Jobim, avec le guitariste basque Jean-Marie Ecay. Le choix de très douces ballades, où bien entendu on ne coupe pas aux citations habituelles (mais on ne s’en lasse pas) de Corcovado et Desafinado, tout en découvrant un répertoire plus intime ainsi que des compositions des deux compères. Dans un sourire, l’artiste évoque l’invitation acceptée pour une tournée africaine, proposition sénégalaise autour de Senghor, qu’Eric Le Lann imagine déjà dans une version spectacle total, avec récitant (pourquoi pas Jacques Bonnafé) et danseurs. Dix ans que l’Afrique lui manque. Les souvenirs du Mali, du Niger, de la Mauritanie, du Sénégal ou du Togo sont loin. En attendant, Eric Le Lann a fait le chemin inverse de celui de ses ancêtres. L’été dernier, il est allé jusqu’à Ouessant, ce bout du monde où sa famille du côté de son père a débarqué en 1780. Cette île battue par les vents, il s’y est enfermé pour enregistrer sa propre voix. Celle qui remonte aux Origines.

Eric Le Lann Origines (Avel Ouest/ Universal) 2005
Eric Le Lann Play Jobim (Nocturne) 2005