Hip Hop non stop !
Le rap français serait-il un "mort vivant" ? Si les puristes ont enterré ce genre depuis belle lurette, les sorties de ces derniers mois tendent à prouver que le rap hexagonal est de plus en plus riche et varié, tant dans le fond que dans la forme. Du hip hop classieux d’Hocus Pocus au rap hardcore de Sinik, il y en a désormais pour tous les goûts !
Petit tour d’horizon des sorties françaises
Le rap français serait-il un "mort vivant" ? Si les puristes ont enterré ce genre depuis belle lurette, les sorties de ces derniers mois tendent à prouver que le rap hexagonal est de plus en plus riche et varié, tant dans le fond que dans la forme. Du hip hop classieux d’Hocus Pocus au rap hardcore de Sinik, il y en a désormais pour tous les goûts !
Un vent de fraîcheur venu de Nantes souffle actuellement sur la scène hip hop française. Avec leur premier album intitulé 73 touches, le groupe Hocus Pocus (HP pour les intimes) fait l’unanimité tant au niveau des critiques que du public. Contrairement aux formations rap habituelles dont la formule se résume bien souvent à la simple addition MC + DJ, HP est un vrai groupe de musique avec de vrais musiciens jouant de vrais instruments ! Les gros beats traditionnels laissent donc la place à un son protéiforme évoluant entre jazz, soul ou funk, tout en conservant une forte identité hip hop, grâce notamment aux scratchs prodigieux de DJ Greem. Du bout de sa baguette magique, 20Syl mène ce quintet surnaturel en véritable chef d’orchestre. Cet apprenti sorcier nous a concocté dans son chaudron des productions toutes plus réussies les unes que les autres, sur lesquelles il pose des textes où humour et gravité se mêlent dans une parfaite alchimie, comme en attestent Faits divers et Brouillon. En alliant de véritables instruments acoustiques aux éléments de base du hip hop, Hocus Pocus a donc trouvé une formule magique qui a su réconcilier de nombreuses personnes avec le rap français.
Et ce n’est pas la farouche Bams qui dira le contraire. Sur son nouvel opus, De ce monde, la rappeuse s’est-elle aussi affranchie des carcans musicaux et a décidé de faire ce qui lui plaisait : entre hip-hop, rock, jazz, afro-beat et flamenco, elle chante, rappe, crie, parle... tous les moyens sont bons pour laisser libre cours à sa créativité débridée ! Cette ancienne championne de France et d’Afrique du triple saut n’a rien perdu de son énergie et de sa soif de découverte. Pas étonnant donc qu’elle ait réussi à convaincre l’immense RZA – membre fondateur du Wu Tang Clan et producteur américain émérite – de lui composer un titre (Please, tends l’oreille) et d’arranger le morceau de clôture de son disque, De ce monde... Elle est comme ça, Bams : quand elle veut quelque chose, elle fait tout pour l’obtenir. Et son album entièrement autoproduit par ses soins avec l’aide de DJ Junkaz Lou en est le meilleur exemple. A travers ses textes, Bams en profite donc pour se lâcher et se livrer corps et âmes : elle délire, dénonce, déclame et nous livre au final un disque de "psychédélip-hop" venu tout droit d’un autre système solaire.
Peut-être a-t-elle d’ailleurs croisé en chemin un autre ovni musical débarqué récemment dans les bacs : l’album du Klub des Loosers cyniquement intitulé Vive la vie. La première particularité de ce club est qu’il ne compte qu’un membre : Fuzati. Comme beaucoup de rappeurs, ce MC a grandi en banlieue... mais pas dans une cité ; non, lui vient de Versailles. Une ville beaucoup plus chic que Sarcelles mais où les jeunes ne s’épanouissent pas forcément mieux comme il l’explique dans sa chanson Né sous le signe du V : "Ici bizarrement il y a des choses dont on ne parle pas. Comme du nombre de jeunes qui chaque année se suicident en classe prépa." Si le flow élastique de Fuzati et sa musique parfois digne d’un téléfilm érotique des années 80 peuvent surprendre et rebuter certains, ses textes "spleeniens" sont remarquablement bien écrits. Son humour pince sans rire et sa prose souvent crue ne manqueront d’ailleurs pas de faire grincer quelques dents, notamment chez les rappeurs français. "Dans le hip hop une règle est de ne pas dire du mal des prostituées. On ne se moque pas du travail des mamans des MC français". Avec de telles paroles, on comprend mieux pourquoi Fuzati apparaît toujours masqué en photo !
Dans un registre radicalement différent, on assiste depuis quelque temps à un retour du rap hardcore sur le devant de la scène. Un rap brut de décoffrage qui ne fait pas dans la dentelle. Classé directement en troisième place du top album dès sa sortie, le premier album de Sinik, La main sur le coeur, en est la parfaite expression. Ce rappeur d'une des cités des Ulis en région parisienne s’est forgé une réputation dans et par la rue. Après de multiples collaborations et un street CD* prometteur intitulé En attendant l’album sorti en juin dernier, beaucoup l'attendaient donc au tournant. Porté par des instrumentaux très mélodiques, Sinik a donc choisi de se livrer à travers des textes personnels et intimes. Si les thèmes abordés dans son album (la drogue, la prison, la rue, etc.) ont déjà été maintes fois traités par d’autres rappeurs – et parfois de manière plus brillante –, Sinik a une façon bien à lui de nous projeter dans son univers obscur et sans concession. Son flow hargneux nous prend par le col. Et si ses rimes frappent quelques fois dans le mille ("on va en classe pour pioncer, mais moi je ne comprends pas quand les racistes vont à la plage pour bronzer"), l’ensemble manque tout de même de finesse et de subtilité ("parce que les lois me cassent les noix")... Bref, un premier disque réaliste mais encore un peu trop naïf.
Beaucoup plus habiles dans le maniement des rimes, Leeroy et Specta déversent leur rap dévastateur à travers les vingt titres d’un album sobrement intitulé Rap. Ces deux transfuges du Saïan Supa Crew se sont associés sous le nom d’Explicit Samuraï pour se tourner vers un hip hop textuellement beaucoup plus virulent. "Des lyrics tranchants et sanglants qui vivent éternellement. Choquant, pour ceux qui le prennent personnellement", comme le scande Specta. Mais contrairement à Sinik, la violence de leur propos est largement compensée par la puissance de leur écriture. Quant au débit impressionnant des deux MC’s, il ne laisse aucun répit à l’auditeur. Et lorsqu’ils dépoussièrent avec humour un vieux tube français des années 60 (Les 3 dernières minutes de Pascal Danel), c’est pour en faire un morceau de hip hop ultra lourd avec une basse à faire trembler les murs. Un album coup de poing qui démontre une fois de plus la vivacité et la capacité de renouvellement d’un genre que certains croyaient épuisé.
*Un street CD est un disque tiré à peu d’exemplaires précédant la sortie d’un album. C’est une sorte de compilation "non officielle" retraçant à travers une dizaine de morceaux (extraits de mix-tape, featuring, etc.) le parcours d’un rappeur afin de faire monter le buzz autour de lui.
Hocus Pocus, 73 touches (on and on records) 2005
Bams, De ce monde (junkadélic zikmu / 2good distribution) 2005
Klub des loosers, Vive la vie (record makers) 2004
Sinik, La main sur le cœur (up music / warner) 2005
Explicit Samuraï, Rap (toxic / virgin) 2005