La sono mondiale de Mokhtar Samba

Homme de rythmes et homme de l’ombre, le batteur Mokhtar Samba a accumulé depuis vingt ans les collaborations prestigieuses avant de sortir son premier album personnel. A travers Dounia, il dévoile ses talents de fin mélodiste et de directeur de casting.

 

 
 

 

Réunis autour d’un grand plat de pâtes, les trois musiciens dissèquent avec attention le concert de jazz qu’ils regardent sur une vidéo aux couleurs passées. "La musique n’est souvent qu’un prétexte pour passer un bon moment ensemble", prévient Mokhtar Samba. Ce qui est vrai pour ce déjeuner entre amis organisé dans son appartement l’est aussi pour son album, Dounia, le premier sous son nom. Au cours des deux dernières décennies, ce batteur français aux origines sénégalo-marocaines a été sollicité, en studio ou sur scène, par des artistes aussi prestigieux et différents que Salif Keita, Jaco Pastorius, Alpha Blondy, Carlinhos Brown ...

L’équipier modèle, habitué à rester dans l’ombre, a eu envie de devenir, pour son propre projet, le commandant d’un navire à bord duquel il a fait monter près de 70 musiciens !

"Tout ceux qui jouent sur ce disque appartiennent au même souffle musical que moi", indique-t-il. La liste des intervenants est impressionnante par sa densité de talents difficilement égalable : tous ont contribué et continuent aujourd’hui à faire de Paris l’un des hauts lieux de la musique africaine et du jazz, et la plupart d’entre eux ont développé des carrières solos. Parmi ces invités figurent naturellement ses anciens compagnons du groupe de jazz fusion Ultramarine – le guitariste N’Guyen Lê, le pianiste Mario Canonge, le bassiste Etienne M’Bappé – ainsi que ceux qu’il a croisé depuis vingt ans et avec lesquels il a tissé des liens : l’ex-bassiste de Sixun Michel Alibo, l’accordéoniste malgache Régis Gizavo, le pianiste Jean-Philippe Rykiel, les choristes Estha et Ewan Dobongna, soeurs de la chanteuse Princess Erika. Sans oublier "la cerise sur le gâteau" : son fils, Reda Samba, dix-neuf ans au moment de l’enregistrement, batteur comme son père.

Déclic

Dounia a commencé à prendre forme dans son esprit en 2000, à la suite de la tournée mondiale Seven Seconds qu’il avait effectuée avec Youssou N’Dour. Habib Faye, le chef d’orchestre de la star sénégalaise, l’encourageait à se lancer mais c’est une mélodie chantée par un enfant et entendue lors d’une promenade au marché Sandaga, à Dakar, qui a servi de déclic. À 40 ans, il s’est enfin décidé, après avoir surmonté les doutes qu’une telle entreprise suscitaient jusque-là en lui. "J’ai accompagné tellement d’artistes qui font de la très bonne musique que je voulais être à la hauteur. Je ne voulais pas être déçu", explique Mokhtar.

Avec la collaboration étroite d’Habib Faye et Celia Reggiani, pianiste et fille du chanteur Serge Reggiani, il a rassemblé ses expériences "comme un puzzle", et s’est rendu compte de l’utilité de toutes ces années en tant que sideman, en particulier pour réaliser le casting des musiciens. "Tu peux inviter quelqu’un que tu respectes musicalement, dont tu aimes le jeu, mais ce n’est peut-être pas son tempo, son esthétique. J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à cela." Quatre ans ont en effet été nécessaires pour terminer cet album qui réussit le mariage parfait entre la world music et le jazz, avec cette touche de magie qui n’existe que lorsque les musiciens sont dans des dispositions optimales, heureux de jouer. "La musique, ce sont des notes, des rythmes. Un vocabulaire. C’est un vecteur d’émotion", souligne Mokhtar. "Avec Salif Keita, on s’est retrouvé dans des pays où l’on ne pouvait pas échanger deux mots avec les gens, mais il n’y avait pas besoin de le faire. Parce que quand tu joues, ça suffit."

Batteur de Pastorius

 

 

 

 

S’il n’est plus le boulimique de musique qu’il a été, "un vrai casse-pieds pour qui c’était la seule façon de communiquer", à 45 ans, il dit pouvoir se réveiller avec Debussy, écouter Fela l’après-midi, Duke Ellington le soir et Doudou N’Diaye Rose pour s’endormir. "C’est cela que j’essaie de traduire à travers la musique que je fais", confie le batteur. Marqué par le rock progressif anglais des années 70, cet autodidacte, qui s’est toutefois adressé aux "marabouts blancs" du conservatoire pour qu’ils lui enseignent le solfège, a fini par faire resurgir la musique africaine qui sommeillait en lui. À 18 ans, ses soirées ne se déroulent pas en boîte de nuit, mais dans une cave, avec son instrument qu’il s’est acheté après avoir passé trois mois à balayer un centre commercial. Les efforts sont vite récompensés : il enregistre avec le chanteur sénégalais Wasis Diop, accompagne le jazzman français Eddy Louiss ...

Mais une étape, décisive à ses yeux, est franchie en 1986. Paco Sery lui téléphone à 6 heures du matin pour lui demander de le remplacer auprès de Jaco Pastorius, le maître bassiste américain en concert à Paris le soir même. Le jeune musicien croit à une plaisanterie, se rendort. À 20 heures, Eddy Louiss le rappelle pour lui confirmer qu’il est attendu sur le champ. Mokhtar fonce, arrive dans la petite salle du New Morning remplie dès l’entrée. Il tremble tellement que son sac de cymbales joue le chabada tout seul. "Même le batteur le plus rapide du monde n’y serait pas arrivé", plaisante-t-il. Quand il cherche à savoir au moins quel sera le premier morceau, Pastorius lui répond simplement de monter sur scène et de se relaxer. Pas si simple, dans ces conditions, mais dès que le groupe attaque le classique Teen Town de Weather Report qu’il connaît bien, Moktar reprend confiance. Pour lui, cette opportunité a fonctionné comme un révélateur. "Ça m’a permis de comprendre qu’en travaillant, tout était possible", analyse-t-il. "Même si il y a des hauts et des bas, que tu te prends de temps en temps des claques qui te font réfléchir. Il faut beaucoup d’humilité. C’est ma devise. Parce qu’après tout, on ne fait que de la musique."

Mokhtar Samba Dounia (O+ Music) 2005
Du 13 au 16 juillet 2005 au Baiser sale à Paris
Le 23 juillet (gratuit) au festival Music0parc à Rosny-sous-Bois
Le 27 juillet au Nice Jazz Festival