Bertrand Burgalat

Placardé chez tous les bons disquaires depuis sa sortie il y quelques jours, le Portrait Robot de Bertrand Burgalat menace sévèrement l’auto complaisance de la nouvelle chanson française et ses carcans stylistiques.

Portrait robot

Placardé chez tous les bons disquaires depuis sa sortie il y quelques jours, le Portrait Robot de Bertrand Burgalat menace sévèrement l’auto complaisance de la nouvelle chanson française et ses carcans stylistiques.

 

 Quoi de plus évident qu’un portait robot dévoilant son tempérament, ses rites et son univers pour cerner l’animal inclassable ? Un délassement dans lequel il nous sert un condensé de son appétit féroce pour les musiques en élaguant toute distinction entre les genres. De la graine de poète illuminé livrée sur les canapés d’une brasserie parisienne à l’occasion de la sortie de son second opus... Portait Robot.

41 ans, fin limier touche à tout, singulier et exigeant, Burgalat dynamite avec élégance le cloisonnement musical. Face à ce valeureux démolisseur de musiques préconçues, la police judiciaire n’a pas manqué de se pencher sur son sujet en se fendant d’un portrait robot réalisé à partir des descriptions de la poète Elisabeth Barillé. Une amie romancière, auteur d’un texte du disque, qui lui a soufflé sa maxime préférée "Tout espérer, ne rien attendre".  D’où cette faculté à nous surprendre en laissant "beaucoup de part accidentelle" à sa musique. Une imprévisible spontanéité qui confère à Portrait Robot une atmosphère agitée et mystérieuse à l’instar du spécimen Burgalat, expérimentateur averti aux vertus déconcertantes. Lorsqu’il n’est pas au piano ou à la basse il joue du vibraphone, de la guitare et de l’harmonica, s’essaie à la flûte traversière et au saxophone ténor en improvisant sur des rythmiques nerveuses et fantaisistes. Le bandit aux doigts de fées écrit aussi, d’abord pour les autres puis pour lui, des textes oniriques et des mélodies surannées qu’il susurre du bout de ses "lèvres fines favorisant un chant discret". Pour dessiner son Portrait Robot, Burgalat a projeté sa palette sur la toile de son home-studio en empilant "les sons, les prises et les motifs pour en effacer au maximum" et ne garder que les gestes inconscients. Moments de détente qui sonnent le plus simplement et s’avèrent des plus fascinants.

 

    Son inspiration, il l’a puise dans "la musique du vingtième siècle, Ravel, le psychédélisme, la nothern soul, le rock planant et le bubblegum..." Son dernier coup de cœur ? Le Banquet Céleste d’Olivier Messian. Sa bande-son du moment ? France Info... Bertrand Burgalat est un introverti à l’humour décalé qui se cache derrière sa paire de hublots. Un imperturbable ovni à la mèche trop longue retenue par une paire de lunettes "de forme analogue à celle utilisée par Bernadette Chirac" ou, au choix, " non teintées comme celle de son époux, période de Cochin." L’homme aux "look de vieux" est en marge des modes, à la frontière du kitsch, à la pointe des tendances, au-dessus des lois, y compris celles du marché. Au risque de se mettre les majors à dos, il combat la platitude à la tête de son prestigieux label Tricatel depuis tout juste 10 ans. "On a eu beaucoup de mal, mais maintenant ça va un peu mieux parce que je me suis résolu à attendre peu de l’industrie du disque et à accepter une certaine forme de marginalité." Pourtant label de qualité rime avec bonnes idées, comme celles de produire les albums du romancier débridé Michel Houellebecq et de la dernière sensation rock palpitante AS Dragon, mais la masse ne suit pas toujours. Comprend qui veut ouvrir ses écoutilles aux productions d’un label qui "ne va pas deux fois dans la même direction. La ligne a toujours été de signer des artistes qu’on admire et qui font des choses différentes entre eux. "

 

 Portrait Robot respire cette indépendance et l’avant-gardisme véhiculé par les productions Tricateliennes qui forment un repère hors normes et accessible. La ligne de Bertrand, c’est le Difficult listening, une pop, rock, funky aux allures baudelairiennes. Une formule en réponse à tous les détracteurs de son premier opus The Sssound of Mmmusic taxé d’easy listening à sa sortie en 2000, alors qu’il annonçait le revival 80’s, célébré depuis. "Le précédent album était un essai solaire et triste à la fois. Celui-là dit la même chose mais d’une autre façon." C’est en cela que réside tout le talent du faussaire imprenable qui échafaude un subtil mélange dont il résulte à la fois une impression de déjà-vu et d’absolue fraîcheur. Le rebelle côtoie ses maîtres sur 19 plages qui essorent les préjugés, libèrent les esprits étriqués et engaillardissent nos guiboles réanimées sous la pression de son esprit agité.

Bertrand Burgalat Portrait robot (Tricatel/Virgin) 2005