LA BEATRICE ARDISSON MANIA
Il est des labeurs plus pénibles. Béatrice Ardisson sélectionne "de façons injustes et subjectives" des chansons qu’elle vend ensuite comme des petits pains sous forme de compilation. Le Tout Paris crie au génie, trop heureux de se sentir décalé et distingué en se déhanchant dans les endroits branchés. Un effet de mode, d’accord, mais construit dans la durée.
"J’ai commandé des cartes de visite toute petite, à ma taille !" Des cartes qu’elle vient juste de recevoir et qu’elle présente, gourmande, à tout son entourage : "ça fait très fille" interpelle-t-elle dans un sourire : Ardisong, le nom de sa société, inscrit en rose sur fond gris réfléchissant. "Maintenant il faut juste trouver un moyen d’éliminer les traces de doigts, ce n’est pas très glamour". Elle est déjà sur la piste du produit idoine. Béatrice Ardisson savoure visiblement le plaisir de mener sa petite entreprise, lancée il y a quatre ans mais qu’elle mûrit depuis une décennie.
Longtemps dans l’ombre de son imposant mari, l’animateur et producteur télé Thierry Ardisson, son prénom a maintenant du renom. Dans les milieux branchés, il signifie à peu de chose près : reprise musicale déjantée de qualité : "J’ai mis l’index là-dessus. Tous les bons musiciens à un moment ou un autre de leur vie font des reprises, soit un hommage, soit une moquerie. Dans tous les cas, c’est intéressant. C’est normal que les jeunes artistes essaient de réinterpréter à leur manière, c’est ce qui se fait en musique classique" . Les Beatles n’ont pas commencé autrement.
Folie douce
Pour contrebalancer son côté chic, Béatrice s’avoue un vice : "Je suis une obsessionnelle, une collectionneuse frénétique, je dresse des listes pour tout." Celles, assez communes, destinées aux courses de la semaine, d’autres plus originales constituées d’expressions parlant d’animaux : "froid de canard, temps de chien, poule de luxe". Cette folie douce a lancé sa vocation avec un point départ au Brésil : "Il y a douze ans, j’ai accompagné mon mari à Rio où il tournait une émission. Arrivée là-bas, l’équipe s’est rendue compte qu’elle n’avait pas de script [personne chargée, entre autres, de répertorier et classer toutes les images enregistrées, ndlr]. Moi je venais en vacances, ils m’ont proposé, j’ai dit OK. "
Son mari lui promet un cadeau en remerciement. Elle demande un ordinateur. : "J’ai appris toute seule… avec des grands moments de solitude ! Je me suis rendue compte que l’on pouvait très vite faire de grandes bases de données avec les logiciels proposés. Comme je classais en même temps ma discothèque, je me suis mis à archiver tous les prénoms que j’avais en chanson. J’en ai sorti 1500. J’ai continué."
Thierry Ardisson sent le filon, il lui met le pied à l’étrier en lui proposant d’illustrer musicalement Paris Dernière, une émission qu’il produit pour la chaîne câblée Paris Première. "Il fallait un titre sur chaque travelling accéléré dans les rues de Paris. J’ai accepté à condition que l’on ne mette que des reprises décalées de grands tubes." L’idée fait mouche, les téléspectateurs demandent de plus en plus souvent les références. Deux ans plus tard, elle contacte le label Naïve et sort sa première compilation Paris Dernière. Les trois premiers volumes se sont déjà écoulés à 250.000 exemplaires, le quatrième est dans les bacs.
Artisan de luxe
Flairant la tendance, de nombreux établissements de la nuit parisienne la contactent. "J’habille musicalement chaque lieu en sélectionnant environ 75 heures de musique." L’ancienne styliste de chez Kenzo s’occupe même de la bande son du défilé de Christian Lacroix. "J’écoute environ huit heures de musiques chaque jour. Je travaille tout le temps, j’emmène un baladeur en déplacement. Je continue à avoir le même plaisir." Madame fait dans le haut de gamme, elle se définit comme "artisan du luxe". Le terme de compilation même lui donnerait des boutons. Dites collection, plus chic.
A la tête d’Ardisong, elle s’est maintenant affranchie, financièrement, de son mari et veut s’étendre pour durer. Epaulée par un ingénieur, Olivier Saunier, elle développe un logiciel diffusant aléatoirement ses sélections. Lorsqu’on lui demande si à terme, cela ne va pas faire disparaître les DJs, ses yeux de biche s’inquiètent : "Pas du tout, nous sommes complémentaires. Un restaurant ne peut pas se permettre d’avoir quelqu’un qui passe des disques tout le temps, mais pour les soirées, c’est indispensable." Avec le Comptoir des Cotonniers, une ligne de magasins pas franchement accessibles à toutes les bourses, elle dirige une compilation où mères et filles, simples quidam, enregistrent ensemble des reprises. Après, Indo Mania, consacré à l'Inde, Cloclo Mania, à Claude François, elle prépare Brésil Mania pour la rentrée et envisage un Paris Mania, Reggae Mania, Afrique Mania, etc… Un concept qui risque de lasser même s’il profite avant tout aux artistes sélectionnés.
Compilation Fouquet's (Naïve) 2005
Compilation La musique de Paris Dernière vol4 (Naïve) 2005