Festival Sakifo à La Réunion
Avec 25.000 spectateurs sur une île qui compte 750.000 habitants, le festival Sakifo peut se prévaloir d’une légitimité populaire. Du 5 au 7 août sur l’île de La Réunion, les pointures internationales ont côtoyé les vedettes locales dans ce département français au coeur de l’océan Indien.
Un événement phare au pays du maloya
Avec 25.000 spectateurs sur une île qui compte 750.000 habitants, le festival Sakifo peut se prévaloir d’une légitimité populaire. Du 5 au 7 août sur l’île de La Réunion, les pointures internationales ont côtoyé les vedettes locales dans ce département français au coeur de l’océan Indien.
Ciel couvert, mer calme. Une poignée de surfeurs, allongés sur leurs planches, attend patiemment une vague qui semble ne pas venir en ce début d’après-midi. La tranquillité ambiante vole tout à coup en éclats : sur la scène de la Ravine, installée au fond d’un étroit couloir creusé par la nature dans la montagne, Luke vient de mettre en marche ses guitares rock et répète La Sentinelle. Le quatuor français nourri à la musique de Noir Désir sera l’une des têtes d’affiche de la soirée d’ouverture du Sakifo. La ville de Saint-Leu, sur la côte ouest de l’île de La Réunion, s’apprête à vivre pendant trois jours au rythme de ce festival qui a déjà attiré 20.000 spectateurs lors de sa première édition l’an dernier.
Si les mois de juillet et août constituent la saison des festivals en France métropolitaine, étrangement rien n’était proposé à cette époque de l’année aux habitants de ce département d’outre-mer et aux nombreux touristes venus sur ce bout de terre volcanique en plein océan Indien. C’est en grande partie pour combler ce manque et répondre à cette attente que Jérôme Galabert a décidé de monter le Sakifo (c'est "ça qu'il faut", en créole), avec une programmation des plus éclectiques et une belle densité de talents. Chaque jour, de 13 heures à 3 heures du matin, les concerts s’enchaînent dans quatre lieux différents. Plus de 200 musiciens, chanteurs et deejays ont pris l'avion à Paris pour se rendre sur place : le jazzman Joe Zawinul, Mathieu Boogaerts, Jeanne Cherhal, Dyonisos, le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly, Kekele et sa rumba congolaise... Et ils sont tout aussi nombreux à venir de l'océan Indien.
Sous le chapiteau planté entre les cocotiers du parc du 20 décembre (date de l’abolition de l’esclavage, en 1848), Nathalie Natiembé donne une performance très attendue. Accompagnée aux percussions par le fils de Danyel Waro et le petit-fils de Maxime Laope, deux personnages du patrimoine musical de l’île, la chanteuse réunionnaise emplit l’espace. Ses textes viennent de ses entrailles, son corps parfois se convulse, puis la voix se fait douce, le visage rayonne de bonheur. Son maloya est à son image : tourmenté. "J’ai l’impression d’être habitée par les mots. Ça bouillonne dans ma tête. Ma famille souffre un peu de cette situation de création, parce que si je suis enceinte d’une chanson de douleur, je vais souffrir avec. Parfois, j’ai peur de basculer dans un monde d’où je ne pourrai pas revenir", confie-t-elle. Comme pour Maloya Pile Plate, chanson écrite pour le musicien réunionnais Alain Peters disparu en 1995, qui l’a plongée dans l’alcool "pour savoir comment l’esprit réagit quand on est dans cette ivresse". Sur certaines chansons de son nouvel album bientôt commercialisé, elle a sollicité l’accordéoniste Régis Gizavo. Passant d’un univers à un autre avec une aisance déconcertante, le musicien malgache a abandonné pendant quelques jours la tournée d’été de Mano Solo pour prolonger sa collaboration avec Nathalie et la retrouver en concert au Sakifo. Mais aussi pour se produire sous son nom, avec son acolyte David Mirandon, rejoint pour l’occasion par deux collègues percussionnistes de l’île.
A Saint-Leu, Régis a retrouvé Riké qui, lui aussi, avait fait appel à ses services sur son album solo Air frais. L’interprète du succès Tout le bonheur du monde est venu dans l’océan Indien avec le reste de la famille Sinsémilia et a pu constater que la popularité de sa formation grenobloise ne se limitait pas à la métropole : près de 5.000 personnes sont venues assister à leur show mis en scène avec une précision millimétrée.
Les triomphes sont nombreux en cette deuxième soirée. Pour Paul Personne, programmé pour la première fois à La Réunion, les 1600 billets avaient été vendus depuis longtemps. Le blues est également un domaine dans lequel excelle Eric Triton, idéal chauffeur de salle. Le guitariste mauricien est un peu à domicile sur l’île soeur, il y a d’ailleurs enregistré en 1999 un album live, moins aseptisé que celui sorti récemment par une major de l’industrie du disque. Exporter sa musique au-delà de l’océan Indien est une ambition que partage Davy Sicard. Beaucoup voient en lui l’un des espoirs de la scène réunionnaise. L’ancien membre du groupe vocal College Brothers, récompensé par le prix RFI médias - Adami en 1995, s’est ensuite essayé à la soul matinée de funk pendant quelques années. "Maintenant, j’essaie de me rapprocher davantage de l’aspect traditionnel de la musique de La Réunion, tout en sachant que je ne pourrai le faire complètement, parce que j’ai eu d’autres influences entre temps. Ce n’est que vers l’âge de 18 ans que j’ai commencé à entendre des choses en créole, et j’y ai vraiment fait attention sept ans plus tard", explique-t-il, tout en rappelant que le maloya a longtemps été considéré comme subversif par les autorités métropolitaines et donc censuré jusqu’en 1980. Au Printemps de Bourges 2005 auquel il a participé en tant que "découverte", son maloya "cabossé", parfois difficile à cerner, a attiré l’attention de professionnels, une maison de disques et un tourneur, prêts à donner une autre dimension à sa carrière.
Comme l’an passé, la dernière journée du Sakifo démarre très tôt : à 8 heures du matin. C’est l’heure du riz chauffé, petit-déjeuner traditionnel composé des restes de la veille. Ousanousava assure l’ambiance sur la scène en plein air du Massalé. Dans ce lieu accessible gratuitement à tous, trois ou quatre groupes locaux confirmés se sont succédés chaque après-midi : maloya, sega – l’autre musique de La Réunion – mais aussi reggae ou rap. Et ce dimanche matin, près de mille personnes se sont déplacées pour applaudir une formation qui totalise huit albums depuis 1989. Le chanteur d’Ousanousava, Bernard Joron, est sorti vainqueur des sélections organisées sur l’île dans le cadre du concours "9 semaines et 1 jour" organisé par la chaîne RFO (Réseau France Outre-mer), visant à faire émerger un artiste de chaque Dom-Tom français. En compagnie des autres lauréats, il était invité à venir chanter lors de la soirée de clôture des Francofolies 2005 à La Rochelle. A Saint-Leu, le public l’a retenu avec ses musiciens aussi longtemps que possible. Une dernière surprise attendait les spectateurs en fin d’après-midi, et il fallait du temps pour préparer la sonorisation de ce concert-concept intitulé "Lorkès Nasyonal Larényon" : d’un côté seize percussionnistes munis de kayamb, pikèr, roulèr et triangles, de l’autre une trentaine de choristes, tous vêtus en blanc. Avec comme répertoire les chansons du premier album de Danyel Waro, figure du maloya. Frissons garantis.