Amadou & Mariam
Produit par Manu Chao, le nouvel album d'Amadou & Mariam, Dimanche à Bamako, s'inscrit dans le sillon creusé par les précédents, tout en appuyant un peu plus là où ça fait mal, tout en mettant encore plus de musiques au pluriel. Un soupçon de pop entre les lignes, pas mal de citations aux grandes traditions de l'impérial Mali, et même quelques petites boucles pour un disque presque engagé, couronné par un succès public inatendu.
Dimanche à Bamako
Produit par Manu Chao, le nouvel album d'Amadou & Mariam, Dimanche à Bamako, s'inscrit dans le sillon creusé par les précédents, tout en appuyant un peu plus là où ça fait mal, tout en mettant encore plus de musiques au pluriel. Un soupçon de pop entre les lignes, pas mal de citations aux grandes traditions de l'impérial Mali, et même quelques petites boucles pour un disque presque engagé, couronné par un succès public inatendu.
"Mariam et Amadou, bonjour... Comment allez-vous ?" Tout commence par la voix de Mamadou, un gamin croisé sur les routes du Mali. C'est lui qui introduit le premier titre, une ballade intitulée M Bife. "Chéri, je t'aime". Le ton est donné, avec la voix de Mariam, tout juste accompagnée de quelques accords de guitare, de quelques choeurs aussi, avant d'accélérer les cadences au rythme du balafon. Et Mamadou de souhaiter bonne journée au couple aveugle du Mali, un clin d'oeil qui d'emblée place les bonnes vibrations de ce disque. Car nul doute que c'est de cette oreille qu'il faut écouter ce Dimanche à Bamako, comme un bon bol d'air frais dans la grisaille parisienne. D'ailleurs, comme le confie Amadou : "Au Mali, contrairement à Paris, le dimanche est un jour de fête". Ce à quoi lui répond Mariam, avec un rien de nonchalance dans la voix, sur Fête au village : "Je serais la plus belle, la plus jolie pour toi mon chéri, pour la fête du village". Et tous deux de conclure : "Nous allons chanter, nous allons danser, nous allons nous dire des jolis mots d'amour, pour la fête au village".
Pour autant, ce nouvel album marque une vraie rupture pour ceux qui ont été séduits par "Je pense à toi mon amour, ma chérie... ", refrain câlin en forme de success story. Souvenez-vous, ces quelques mots doux avec lesquels ils se sont fait connaître de ce côté-ci de la planète musique. C'était en 1998 : Amadou et Mariam n'allaient pas tarder à se révéler au public des Transmusicales avec dans leur bagages Sou Ni Tile, un premier album suivi deux ans plus tard de Tje Ni Mousso, qui confirmait le talent de ceux qui n'étaient déjà plus à l'époque des petits jeunes. Car le fameux couple malien n'est pas né de la dernière pluie. Dix ans plus tôt, ils fredonnaient déjà cette chanson qui les raconte entre les lignes, qui conte le fabuleux destin du duo. Il y eu un avant ce premier disque destiné au public européen, tout comme il y aura un après. Amadou Bagayoko et Mariam Doumbia sont associés à la ville et à la scène depuis 1976, lorsqu'ils se sont rencontrés à l'institut des jeunes aveugles du Mali. Lui guitariste éclectique sorti du formidable creuset des années 70. Elle, chanteuse grandie dans le giron des voix de la tradition. Entre eux, la musique sera un guide qui les mènera aux quatre coins de la planète.
Depuis les temps ont changé, pour paraphraser l'un des titres majuscules de leur précédent album, Wati. Leur musique s'est faite plus incisive, tout en conservant des traces émouvantes d'une candeur qui leur sied à merveille. Plus funky, comme ce terrible Chauffeurs en 2002, le thème qui a littéralement retourné Manu Chao lorsqu'il a écouté. C'est ainsi qu'il a voulu être de cette nouvelle aventure, tant et si bien qu'il y participe de la voix sur plusieurs titres et qu'il la coproduit. On peut même penser que c'est lui qui a suggéré de placer en guise de deuxième titre, le fiévreux Coulibali, qui s'inscrit dans la lignée de Chauffeurs, empruntant avec ferveur les effusions qui firent les belles heures du Mali des seventies. Mais surtout ce qui frappe dans cet album, conçu comme un voyage, entrecoupé de-ci de là de sons de la rue captés au Mali, c'est la plus grande implication politique dans les textes. Certes ce n'est pas tout à fait nouveau pour ceux qui chantaient autrefois "Oh mes amis, oh mes frères, la vie est difficile, la vie est invivable, que vais-je faire dans ce monde trouble ?". Mais cette fois, le propos est plus clair, souvent appuyé par Manu Chao dont on perçoit l'influence de bout en bout, tant au niveau de la production que de la précision des textes.
"Que de maux que de mal, c'est la vie dans ce monde, triste réalité", assènent-ils. Plus loin : "C'est la panique économique, c'est la panique économique, trop de trafic, sur le périphérique, en Afrique, en Amérique, aux fanatiques... Tactiques ?" Et puis aussi : "Vive la solidarité entre les peuples, Maliens Ivoiriens, Burkinabés , Mauritaniens, Sénégalais, Guinéens, Ghanéens, Maliens français... Donnons-nous la main pour une même vision !" Ou encore dans l'explicite Politic Amagni, où les mots se mêlent en bambara, en anglais, puis en français : "La démagogie nous n'en voulons pas, la corruption nous n'en voulons pas, les exactions nous n'en voulons pas..." On les savait conscients, mais ils s'engagent cette fois sans détour. Et le message passe d'autant mieux, qu'ils le font sur des musiques à la coule, entendez souvent des airs entêtants, aux limites de la pop ou plus dans une veine traditionnelle. Pas amer, juste ferme. Ce qui n'empêche pas Mariam de conclure par un formidable petit coup de blues, une subtile berceuse : M'Bife blues. Dessus, tandis que Manu Chao s'essaie au bambara, elle chante d'une voix douce : "Chéri, je t'aime jusqu'à la mort !" Histoire de boucler la boucle, d'un disque qui devrait les imposer définitivement auprès d'un plus large public, tout en ne se coupant, bien au contraire, jamais de ceux qui les suivent depuis longtemps déjà.
Amadou & Mariam Dimanche à Bamako (Corrida) 2004