Le cochon créole de Julien Lourau

Séduit par la proposition du réalisateur haïtien Michelange Quay, le saxophoniste français Julien Lourau écrit sa première musique de film et propose un double album (CD + DVD) intitulé Forget, deuxième partie du projet Fire And Forget démarré en début d’année.

Forget, un album en images

Séduit par la proposition du réalisateur haïtien Michelange Quay, le saxophoniste français Julien Lourau écrit sa première musique de film et propose un double album (CD + DVD) intitulé Forget, deuxième partie du projet Fire And Forget démarré en début d’année.

 

 Il est cinq heures, Port-au-Prince s’éveille. Gros plan sur des monticules d’ordures. Dans la lumière fumante du jour qui se lève, les enfants et les cochons cherchent là leur bonheur. Cochon qui parle, cochon créole, cochon noir, le cochon est l’esprit de l’île. Pour Michelange Quay, au commencement, et jusqu’à la fin, Haïti est la terre de ses pères, et de ses mères. En dix-huit minutes, il convoque l’Histoire. La colonisation, l’indépendance il y a deux cents ans, Haïti, première république noire, “infime dans l’ombre du colosse américain”, puis les dictatures et aujourd’hui quoi ? Le réalisateur s’interroge : “Maintenant, il semble que cette île soit un bateau fantôme abandonné au milieu de la mer diplomatique, maudit, voguant sur ses propres rêves de gloire, cauchemars de soumission.” Le court-métrage, intitulé L’Evangile du cochon créole, retourne cette histoire comme un gant, pour ne garder et regarder que la beauté de l’île et de ses gens. Et c’est le comédien Dominique Batraville, vu dans Royal Bonbon de Najman où il interprétait le roi chacha, qui donne le ton. “Je ne suis pas pauvre, je n’ai pas faim, je ne suis pas sidéen, je ne suis pas sous-développé… Haïti est magnifique.” Un parti pris qui a immédiatement séduit le compositeur Julien Lourau.

Dimension burlesque

Leader d’une jeune scène jazz nourrie de fusion des années 70 et 80, Julien Lourau s’est associé dès ses premières expériences au pianiste bosniaque Bojan Zulfikarpasic, dans Trash Corporation. Sa fougue créatrice et son énergie rock ne l’ont jamais quitté. Et c’est encore et toujours avec celui qu’il peut maintenant appeler “son vieux pote”, qu’il a démarré justement ce nouveau projet. A partir d’un piano Fender laissé là par Bojan, il compose au clavier. Puis le groupe est réuni pour quelques jours de studio dont toute la matière va sortir, pour les deux albums à venir. Rencontré à la fin de sa tournée précédente, pour The Rise, Vincent Artaud à la basse (qui a sorti l’an dernier un premier album très remarqué) rejoint la bande, Bojan Z est aux claviers, Eric Löhrer à la guitare, Daniel Garcia-Bruno à la batterie. Le tout produit par Jeff Sharel, qui lui joue de l’informatique et du copier-coller.

 

    Dans Forget, le saxophone de Julien est beaucoup plus en avant pour des chorus très rythmés comme il en a le secret. Après une spéciale dédicace à sa famille (Lisa et Flavio), tout en retenue et en demi-teinte, il nous donne à entendre essentiellement les morceaux composés pour le film de Michelange Quay : Cochon créole et Diaspora. “Michelange avait choisi comme son-témoin pour le montage de son film, le Haïtian Fight Song de Charles Mingus, qui donnait une dimension un peu burlesque. J’ai voulu garder cette dimension pour le thème principal, me disant qu’après tout, c’est une histoire de cochon !” Détaché du thème initial, Julien Lourau susurre une ritournelle fanfaronne, mutine et entêtante qu’il décline version swing ou dub, dont on ne peut se débarrasser sitôt écoutée. Certaines notes couines parfois. Et si c’était le cochon qu’on égorgeait ?Dualité

A 35 ans, Julien se retrouve dans l’approche de Michelange Quay, dans ce regard sur la dualité du monde. C’est le propos de cette musique où les titres sont des porte-voix. D’abord celui du diptyque Fire And Forget, formule utilisée par les artilleurs anglais au moment d’ouvrir le feu, “tirez et oubliez”, humour noir oblige, qui colle à l’atmosphère qui suinte des postes de télévision. Pour Julien Lourau, depuis le 11 septembre 2001, nous sommes bombardés de discours médiatiques politiquement corrects et moralisateurs. Alors que tout est double, duel. C’est l’éternel amour et haine, ying et yang. Exemple ? “C’est Guantanamo, à la fois les tropiques et la prison, Cuba et les Etats-Unis.” Titre ironique Collateral Dammage, titre humaniste Hope, et puis l’autre morceau du film de Quay, tout simplement Diaspora, ambiance planante pour un long travelling sur un pont à New York, coucher de soleil et trafic. Travelling qui se termine… en Haïti. Dernières images. Retour à la case départ : la décharge.

Julien Lourau Forget (Label bleu) 2005