Lubat, joueur de musique

A l’heure où le festival de jazz Uzeste musical ouvre ses portes en Gironde, une rencontre s’impose avec son fondateur, Bernard Lubat. Musicien chevronné, multi instrumentiste avec Michel Portal ou Eddy Louiss, il a récemment accouché d’un projet solo baroque à souhait : Vive l’Amusique. Jonglant avec les mots comme avec les instruments, il fait jeu de tout bois, sens de tout son. Interview d’un artiste qui fait de la scène une cour de re-création foutraque.

Le re-créateur de jazz

A l’heure où le festival de jazz Uzeste musical ouvre ses portes en Gironde, une rencontre s’impose avec son fondateur, Bernard Lubat. Musicien chevronné, multi instrumentiste avec Michel Portal ou Eddy Louiss, il a récemment accouché d’un projet solo baroque à souhait : Vive l’Amusique. Jonglant avec les mots comme avec les instruments, il fait jeu de tout bois, sens de tout son. Interview d’un artiste qui fait de la scène une cour de re-création foutraque.

 

 RFI Musique : Vous avez vos instruments de prédilection et vos musiciens fétiches, votre festival et votre compagnie. Qu’est-ce que le spectacle Vive l’Amusique apporte à tout cela ?

Bernard Lubat : C’est ma vie de grenier. Je me déballe sur scène. Mes idées, mes rêves, mes qualités, mes défauts, et surtout le hasard… C’est un jeu, l’art, donc je joue.  

Vous dîtes que l’enfant joue, l’adulte est joué. Vous êtes toujours un enfant ?
Oui. J’essaie de laisser jouer l’enfance en moi. C’est plus difficile au fur et à mesure que l’on vieillit, mais l’enfance perdure.

Vous faîtes aujourd’hui de l’Amusique. Vous avez besoin de réinventer le vocabulaire pour réinventer le jazz ?
Me réinventer moi plutôt. Les mots sont rigolos. Ils ont de drôles de sens cachés. Ils ont tous les sens et partent dans tous les sens ! Je joue avec eux. J’essaie surtout de gagner du temps à perdre ! Je veux dire aux gens : venez perdre votre temps, c’est toujours ça de gagner !

Certains puristes vous apprécient mais aimeraient que vous jouiez plus et que vous parliez moins. Que leur répondez-vous ?
Que je ne suis pas un puriste. Je suis impur, je ne fais pas de frontière entre jouer un instrument et jouer de la parole ou de la pensée. Pour moi, c’est toujours jouer ! Cette capacité qu’a le jazz de trimbaler son blues et en même temps son espérance, passe justement par l’improvisation. C’est fabuleux l’impro ! C’est l’imprévu, c’est se convoquer à l’émerveillement. Dans la rue, si on s’arête deux minutes, on peut improviser des images insensées.

Vous visez l’impro quand vous improvisez ?
Mieux, je prépare tout pour improviser. Je mets un truc sur scène, un autre dans ma tête, un autre sur mon instrument. Je me tends volontairement un piège. C’est un obstacle que je me propose de franchir.

Vous ne craignez pas ces obstacles ?
Si !

Mais vous les provoquez…
Je me convoque à la peur. Quand j’entre sur scène, c’est comme si j’entrais dans une arène sans savoir quel va être le taureau. Mais je rentre dans l’idée de jouer à la vie, à la mort.

Est-ce que ça vous réserve parfois de mauvaises surprises ?
Au début, c’était tout le temps de mauvaises surprises, parce que je découvrais ma nullité ! Maintenant je suis prévenu, je suis un peu plus aguerri…

L’Amusique avec ce "A" négatif, est-ce que c’est pour vous un refus de l’oeuvre d’art ou profit de l’art à l’oeuvre ?
L’oeuvre d’art, ça fait un peu tombeau. Alors que l’art à l’oeuvre, c’est infini.

Vous êtes seul sur scène entouré de votre vie de grenier. Quelle relation essayez-vous de créer avec le public ?
J’expose au public un problème sans essayer de le résoudre. C’est une aberration ! Je dis aux spectateurs : salut, on va inventer un jeu dont je ne connais pas les règles. C’est d’autant plus difficile que tous les soirs je modifie les règles ! C’est ça qui m’excite et qui m’inspire, et qui fait que je deviens artiste. Si je récite, je suis cuit. Je ne sais pas faire ça. Je ne peux interpréter que ce que j’ignore de moi. Et ça n’advient que parce que je me suis mis dans une situation complexe et incertaine.

Il y a dans votre action et dans votre spectacle toute une réflexion sur l’art, qui ne doit pas "être pour tous mais pour chacun"
On vit désormais à l’heure de la massification. On quitte le sensible pour la cible. Ce côté militaire, ça ne me plaît pas. Je pense que l’art est un intervalle dont les sociétés ont besoin pour laisser respirer la pensée. Des intervalles gratuits et humains. Parfois j’ai peur que ces intervalles soient laissés en jachère parce qu’ils ne sont plus productifs. Qu’on les élimine. Je crois que s’il n’y avait plus d’art et d’artiste, ce serait la guerre civile.

 

    L’Uzeste musical, c’est une façon d’aller contre ce courant ?
Uzeste, c’est un labo de recherche à l’air libre, un intervalle permanent, inscrit contre vents et marées dans la cité, dans la mêlée. On se mêle de ce qui nous regarde. On dérange. Surtout quand on fait de l’impro. Par définition, elle sort des critères établis. Elle va vers l’"individué", le contraire de l’individualisme. C’est ce qui m’intéresse le plus dans le jazz : l’invention particulière qu’est chaque artiste par ce qu’il improvise.

Quels objectifs avez-vous cette année ?
Continuer à jouer. Et découvrir toute une génération de jeunes musiciens qui improvisent comme des bêtes, qui inventent des musiques inouïes, qui ne marchent pas dans la combine commerciale. Dont on ne parle pas mais qui existent bel et bien. Je appelle ça des singularités qui se “bruicolent”.

Vive l’Amusique, livre, CD et DVD (Labeluz), distribution Harmonia Mundi

Concerts : Uzeste musical du 17 au 21 août
Vive l’Amusique en concert le 2 septembre à Boissy-le-Cutté (91) et le 18 octobre à Martigues (13).