Louis Bertignac

Longtemps

Ancien guitar hero du groupe Téléphone, remis en selle en 2003 par sa collaboration avec Carla Bruni dont il a réalisé l’album Quelqu'un m'a dit, Louis Bertignac est retourné en studio pour enregistrer Longtemps, après avoir interrompu sa carrière solo pendant neuf années. Avec l'ex-mannequin devenue chanteuse à l’écriture, sa musique trouve des vertus plus nuancées, en partie épurée des références et réflexes rock.

 

 RFI Musique : Dans cet album, on retrouve des gens mais aussi des sentiments qui vous ont accompagnés ces dernières années : Carla Bruni, les Gnaouas, le sitariste Bijaya Vaidya, la mort… C’est une façon de raconter au public cette longue absence ?
Louis Bertignac : Exact. Je m’étais interdit les concerts tant que je n’avais pas de nouvel album. Je me suis donc éloigné du public, mais je l’ai rattrapé à la création de mon site Internet. Quand tu quittes la scène pendant huit ans, la moindre des choses à ton retour, c'est que tes chansons te racontent. J’ai écrit sur tout : les bombes atomiques, le terrorisme… Mais j’ai gardé les thèmes qui collaient à mon vécu.

Carla Bruni et vous, c’est une formule idéale ?
Dans une vie, les équipiers, les vrais comme Starsky et Hutch, c’est rare. Carla, c’est l’alliance des caractères complémentaires. Encore plus qu’avec Jean-Louis (Aubert, chanteur et guitariste de Téléphone, NDR). Je lui donne les musiques avec la mélodie chantée en yaourt, elle me retourne exactement les textes sur lesquels j’aurais aimé jouer. Carla sait faire précisément ce que moi je ne sais pas, et inversement.

Étienne Roda-Gil (parolier ayant travaillé entre autres avec Bertignac, NDR) disait que les mots peuvent détruire la musique. De quelle façon Carla Bruni les préserve-t-elle ?
Roda disait que les paroles devaient se couler dans la partition, sans détourner l’attention de l’auditeur. Carla a une façon très musicale d’écrire. Ce qu’elle raconte, c’est sympa et j’aime les chansons qui ne se prennent pas au sérieux. Ce que j’exprime avec ma guitare, elle le retranscrit avec ses mots, toujours justes. Nous sommes amis depuis longtemps, elle sait à qui elle a affaire et, musicalement, on partage les mêmes références.

Votre voix est enfin plus assurée. Carla Bruni est-elle à l’origine de cette maturation ?
Contrairement à la guitare, le chant n’est pas naturel chez moi. J’ai bien essayé de faire un album instrumental, mais il manque cette chaleur vocale. J’ai voulu rendre toute sa valeur à la voix et, pour la première fois, j’y apporte beaucoup d’attention. C’est surtout en regardant Carla fonctionner sur son album : ses respirations, les temps pour chaque note... Là, j’ai eu une sorte de déclic.

L’album est très acoustique. Avez-vous l’impression d’enterrer votre côté rock ?
Pour moi, le rock est une question de circonstances. Avec Téléphone, c’était une époque où tout se passait sur scène, en groupe. J’ai fait cet album seul dans mon coin et j'ai laissé sortir ce qui venait, sans calcul acoustique. Parmi la quarantaine de chansons écrites, j’ai jeté toutes celles qui étaient rock. Peut-être une lassitude, une impression de répétition...

 

    Ou une envie de creuser la voie ouverte par l’album de Carla Bruni que vous avez réalisé ?

Plutôt que de faire un rock à la façon de Led Zeppelin avec la voix de Robert Plant, j’ai remis tout ça à mon niveau. Ma voix, je l’ai aujourd’hui. J’avais donc envie de la mettre en avant. Je suis moins utopiste, moins ambitieux. Je ne rêve plus d’un autre monde, mais je veux que celui-là me soit agréable. Il ne faut pas se prendre pour ce que l’on n’est pas. Je préfère John Lennon lorsqu’il chante de bonnes chansons que lorsqu’il croit pouvoir changer le monde en un instant.

Soixante-dix artistes viennent de signer un appel contre la répression des "pirates" qui téléchargent gratuitement et illégalement de la musique sur Internet. Votre nom ne figure pas sur la liste des signataires. Avez-vous été contacté ?
Oui, mais la première monture me paraissait floue, donc j’ai refusé. Je viens d’en recevoir une seconde, claire, et je compte bien y mettre ma signature. La démocratisation de la musique est seule responsable des problèmes de l’industrie. Internet est un outil extraordinaire de contact. Pour faire plaisir aux gens, je compte mettre en ligne des morceaux qui n’apparaissent pas sur Longtemps.

Le prochain concert de Téléphone est pour quand ?
Pour fêter l’an 2000, j’avais imaginé une petite tournée. On n’était pas loin de la faire. Au-delà de l’engueulade entre Jean-Louis (Aubert, NRD) et Corinne (Marienneau, ex-bassiste de Téléphone, NDR) à l’annonce de notre idée, tout cela est très rapidement devenu une affaire d’argent avec une pression énorme, de la part des tourneurs, du manager... avec le clash qui s’ensuit. De mon côté, je considère avoir fait mon boulot, oublier les rancoeurs et repartir de rien. J’ai exorcisé Téléphone.

Téléphone 1976-1986 : l'histoire en DVD

L’aventure Téléphone a duré dix ans. Ce que l’on a appelé "le plus grand groupe de rock français du monde" était à l'origine une bande de copains : Jean-Louis Aubert (guitare et chant), Richard Kolinka (batterie), Corine Marienneau (basse) et Louis Bertignac (guitare). En réaction à la politique giscardienne et aux aspirations matérialistes de la société, Téléphone incarne pour toute une génération le fantasme d’une complicité, la force libre inhérente au clan. Le live est à l’honneur sur ce double DVD anthologique. Le premier disque reprend de nombreux extraits de concerts donnés les trois dernières années, en France et au Canada, tandis qu’un documentaire de 1991, Les Années Téléphone, retrace l’ascension du quatuor. De nombreuses archives du groupe (un concert des débuts dans le métro avec une reprise de Rock n’ Roll de Led Zeppelin), interviews, séquences inédites extraites de leur passages télévisés (notamment l’étonnant Sex Machine pour l'émission Les Enfants du Rock), complètent le disque. Le deuxième, outre six de leurs clips, propose le documentaire Téléphone Public de Jean-Marie Périer, réalisé pendant la tournée Crache Ton Venin en 1979. Téléphone est alors en pleine effervescence, Aubert et ses suées électriques en tête. Tourné avec sept caméras, le film présenté l’année suivante à Cannes, alterne split-screens, interviews des membres et portraits du public. Le tout avec un son Dolby 5.1., pour que le plaisir soir total.

 

Louis Bertignac Longtemps (Polydor/Universal) 2005
Téléphone 1976-1986 (2DVD) (EMI/Virgin) 2004