Dionysos
Bête de scène, le groupe français Dionysos convie des bestioles improbables à la fête de leur cinquième album Monsters In Love. Composé en partie à Mekhnès au Maroc, ce disque ouvre un univers rude, burlesque où le punk-folk rejoint des douceurs au ukulélé.
Monsters In Love
Bête de scène, le groupe français Dionysos convie des bestioles improbables à la fête de leur cinquième album Monsters In Love. Composé en partie à Mekhnès au Maroc, ce disque ouvre un univers rude, burlesque où le punk-folk rejoint des douceurs au ukulélé.
“Tu dois continuer à rêver de toutes tes forces. [...] C’est ta meilleure arme pour rester vivant. C’est d’ailleurs le cas pour tout le monde.”
Dans le livre Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, Giant Jack est un passeur. Quand un être cher vous a quitté, il vous donne un bout de son ombre pour vous aider à surmonter l’épreuve. Ce personnage de plus de quatre mètres existe, du moins dans la tête de Mathias Malzieu, auteur de l’ouvrage et chanteur de Dionysos : “Je me suis inventé un monstre pour m’aider. Quand j’ai perdu ma mère il y a deux ans, les gens les plus bienveillants m’ont dit : “fais-toi des cadeaux. Pour repartir, il faut faire des choses que tu aimes.” Donc je me suis construit une petite famille, que j’aimais manipuler.”
Après une première apparition en livre, les monstres envahissent maintenant la musique. Le point de départ de l’histoire est le même, même si chacune des oeuvres se suffit amplement à elle-même : “Ça n’a pas été fait comme un concept, j’ai écris les deux en même temps, l’un et l’autre s’oxygénant, avec une envie cruciale de raconter des histoires, de ne pas se contenter de faire des chansons qui sonnent bien, avec une atmosphère, de belles formules.”
La beauté de la différence
On connaît la fantaisie du groupe, aussi bien dans ses textes que dans ses prestations scéniques. Ici, cette histoire de grosses bébêtes ne ressemble pas à une nouvelle lubie. Pour Mathias, il s’agit d’un credo : “J’aime bien l’idée que les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Je suis touché par ce genre de personnages comme évidemment Edouard aux mains d'argent de Tim Burton. Il y a de la poésie dans le fait d’être différent et qu’on puisse l’accepter, c’est une idée qui me tient énormément à coeur. Lui, il aurait pu faire mal aux gens avec ses ciseaux au bout des bras, mais il veut faire des merveilles avec.”
Au fil de cet album, vous rencontrerez donc Giant Jack : “Un mélange entre Robert Mitchum, Bela Lugosi et Tom Waits dans un siècle. C’est quelqu’un qui fait peur. On ne sait pas trop s’il y a une centaine d'années, il n’a pas croqué deux ou trois filles. Mais quand même, finalement, il prête des bouts de son ombre à ceux qui sont dans le deuil.”
Dans son sillage apparaîtront également Mister Chat, “un ex-séducteur, un solitaire drogué de la drague, transformé un jour en chat par une sorcière. Comme elle est têtue, il l’est resté toute sa vie” ou Miss Acacia, “une fille qui a des piquants qui poussent quand elle est amoureuse, comme une protection. C’est un peu comme un oursin, alors qu’en fait, elle est la plus douce du monde. Du coup, elle a tendance à blesser sans faire exprès. Quand elle te prend dans les bras, elle te perce les tympans.” D’où viennent donc ces personnages délirants ? De films, de livres voire de rêves ? Non, ils évoluent tous dans l’entourage de Mathias : “Je m’inspire de mes connaissances. Miss Acacia existe, elle n’a pas de piquants sur le corps mais dans sa tête, oui. Elle est donc “monstrueuse” mais attachante.” Pas d’entourloupe : quand ils font l’objet d’une chanson, ces gens le savent.
Du plus sombre au plus aérien
Loin de cette imagerie féerique, Dionysos s’attaque aussi à la chanson politique. Une première. Le refrain du Retour de Bloody Betty se révèle sans équivoque “Oussama, où sommes-nous, saddamisés bouche à Bush” Un registre plutôt inattendu pour Mathias : “J’ai toujours eu extrêmement peur de ce genre de discours. À part Noir Désir, Zebda ou Les Têtes Raides qui se sont engagés de façon classieuse, il y a énormément de démagogie. Mais, à un moment donné, j’en ai tellement eu ras le bol de ces histoires de Le Pen, Ben Laden ... que j’ai eu l’envie viscérale d’en parler. Quand j’écris une chanson pour Dionysos, j’essaie de respecter le groupe et le public en étant sincère. C'est aussi vrai sur un titre comme Neige qui est très mélancolique, que sur L'Homme qui pondait des oeufs, avec son côté burlesque, ou qu’un morceau engagé comme Bloody Betty.”
Avec ces Monsters In love, le groupe voyage du plus sombre au plus aérien. Dionysos maîtrise comme nul autre ces effets et instruments peu communs (ukulélé, clochettes, thérémin ...) qui donnent corps au récit. Un pied dans le rock anglais, l’autre dans la grande tradition de la chanson française, cet album propose bien plus qu’une belle synthèse : un univers onirique dans lequel on plonge avec délice. Déroutants, violents, touchants, attachants, ces monstres amoureux ne s’oublient pas facilement.
Dionysos Monsters In Love (Barclay/Universal) 2005)
Mathias Malzieu Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi (Flammarion) 2005