La vie en live de Noir Désir
Quatre ans après Des visages, des figures, deux ans après le drame de Vilnius, Noir Désir revient sur le devant de la scène. Dans ses bagages, un double DVD et double album live, Noir Désir en public. Alors que le DVD est une compil de prestations scéniques et de vidéos, le double album retrace la dernière tournée. Il illustre le virage musical pris par un groupe alors au sommet de son art, et qui maintenant attend la suite. Histoire de 23 ans de live chez Noir Désir.
Retour sur 23 ans de carrière
Quatre ans après Des visages, des figures, deux ans après le drame de Vilnius, Noir Désir revient sur le devant de la scène. Dans ses bagages, un double DVD et double album live, Noir Désir en public. Alors que le DVD est une compil de prestations scéniques et de vidéos, le double album retrace la dernière tournée. Il illustre le virage musical pris par un groupe alors au sommet de son art, et qui maintenant attend la suite. Histoire de 23 ans de live chez Noir Désir.
Fin 1985. Ou peut-être début 1986. A Bordeaux, en tous cas, on ne se souvient pas vraiment. Sur les murs de la ville, des affiches détournées du film M le Maudit annoncent deux dates au Chat Bleu. La tête d'affiche de ces deux soirées : Noirs Désirs. Une formation à part sur la scène bordelaise dont les prestations scéniques attirent déjà 500 à 600 personnes. Alors que les canons du Bordeaux Rock sont aux chanteurs statiques derrière le micro, Noirs Désirs a, en la personne de Bertrand Cantat, un leader charismatique qui aborde chaque concert comme si c'était le dernier. Cantat court. Cantat saute. Cantat tombe à genoux, adopte des postures hiératiques, prémices d'une explosion sonique et vocale souvent faite de guitares distordues, de cris suraigus. Derrière, la section rythmique, composée de Denis Barthe à la batterie et de Frédéric Vidalenc à la basse, assure. Tout comme le guitariste volant, Serge Teyssot-Gay qui a dans les doigts la puissance du son de scène des Noirs Désirs.
Les concerts du Chat bleu approchent. Le groupe se prépare d'arrache-pied. Frédéric Vidalenc, ancien bassiste de Noir(s) Désir(s) : "On avait tellement travaillé qu'on a grossi le trait. On avait essayé de faire quelque chose de plus pro que d'habitude car ce soir-là, on savait que les gens de Barclay seraient dans la salle". Le premier soir, Chat Bleu est plein à craquer. 650 personnes sont dans la salle. Le public est chaud. La prestation séduit. Le groupe signe chez Barclay. Il devient Noir Désir, sans "s". Denis Barthe raconte : "Les gens de la maison de disque nous ont dit : Maintenant, il va falloir travailler les concerts. On leur a dit : Mais non, les concerts, on n'a pas besoin de les travailler, on en fait depuis cinq ans".
Premier Olympia
Début 1989, Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) est dans les bacs. Son single Aux sombres héros de l’amer cartonne. Les quatre musiciens entament illico une tournée. Les sombres héros passent vite aux oubliettes. Les concerts sont toujours dans la même veine. Sans limites, sans tricheries. Collier d’indien au cou, Bertrand Cantat trépigne, tourne en rond, s’adonne à des danses habitées chamanistes et semble rechercher la transe. Cette même année, Noir Désir qui se produit déjà en Belgique et en Suisse poursuit sa tournée en URSS. Ils y assurent cinq premières parties de Kino, une sorte de Beatles soviétiques. A Leningrad, Noir Désir joue deux soirs d’affilée devant un stade de 56.000 personnes surchauffé quadrillé par l’armée. Avant de découvrir l’Olympia, pour trois dates. Jan Pol, 41 ans, quarante concerts de Noir Désir au compteur y était . "Le premier soir, on les sentait tendus. Mais les deux autres soirées, étaient magiques. A la fin du troisième concert, le 23 novembre 1989, ils reviennent deux fois. Ils commencent un morceau. Je ne le reconnais pas de suite. C’est en fait Ces gens-là de Brel. On s’attend à ce qu’ils interprètent la chanson. Bertrand Cantat lâche juste : Mais il est tard monsieur, il faut que je rentre". Fin du set.
La tournée Du Ciment sous les plaines commence sur les mêmes bases que la précédente. Chaque soir, Noir Dés’ est à fond. Didier Estèbe, dans son rôle de manager tente bien de calmer le jeu. En vain. Noir Désir accélère le rythme des dates. Les salles sont devenues trop petites. La salle parisienne de l’Elysée-Montmartre est par exemple, remplie douze fois d’affilée. C’en est trop. La fatigue mine les musiciens. Côté scène, les nouveaux titres font quand même merveille. Avec En Route pour la joie, Noir Désir a trouvé une véritable machine de guerre. Mais en mai 1991, le concert de Besançon est arrêté au bout de quatre chansons, Bertrand Cantat vient de faire une syncope. Fin de tournée.
Cantat sans voix
Noir Désir a pris de bonnes résolutions. Pour le Tostaky Tour, il n’y aura pas plus de cinquante dates. Il n’en sera rien. Les concerts s’enchaînent. Le groupe dépense une énergie folle. "Barclay nous avait demandé de choisir un journal partenaire. Nous, on avait pris l’Equipe, parce qu’on s’en foutait. Et cette tournée Tostaky, on aurait pu la résumer par le slogan du journal de ces années-là. Plus vite, plus haut, plus fort", indique Denis Barthe. De gros problèmes de son entachent la tournée. Malgré tout, les dates se multiplient, les concerts sans temps mort jouent la rallonge. Jamais plus Noir Désir n’ira aussi haut. Le live Dies Irae sorti en janvier 1994 en témoigne. La voix de Cantat n’y résistera pas. Une opération des cordes vocales sera nécessaire.
Fredéric Vidalenc est remplacé par Jean-Paul Roy pendant les sessions de 666.667 club. Pour son premier concert, à Ris Orangis, le nouveau venu de la bande apparaît tendu. Explication un brin ironique de l’intéressé : "Je suis très bien, vu qu’on n’a pas répété. Je crois que c’est sur Le fleuve que je commence à jouer la ligne de basse à la fin du morceau". Noir Désir semble avoir tiré les leçon du Tostaky tour. La tournée 666.667 club est celle des Zéniths. Elle est plus calme. Elle est marquée par l’apparition d’interprétations mid-tempos des anciens titres. Jan Pol, en bon accro, suit l’évolution : "C’est là que l’on a vu apparaître des titres comme les Ecorchés interprétés de façon un peu jazzy". Côté discours, Noir Désir s’engage. A Vitrolles d’abord, contre le FN . Pour les indiens du Chiapas. Et pour José Bové.
Sold out
La tournée Des visages, des Figures affiche complet des mois à l’avance. En fait, seules les dates au Moyen Orient se font dans des clubs, avec une technique minimum. Musicalement, elle confirme le virage amorcé avec l’album Des visages, des Figures. Les vieux morceaux sont relookés grâce aux semples de Christophe Perruchi (Ernestine par exemple) ou à de nouvelles orchestrations (la version presque disco de One Trip, One Noise). Les nouveaux titres, avant tout créés pour le studio, restent très proches de la version du disque.
L’atmosphère de cette dernière tournée, le disque Noir Désir en public la restitue. Intacte. On retrouve donc sur ce double album live enregistré sur la route tout au long de l’année 2002 un groupe au sommet de son art. Qui au fil du temps n’a cessé de se réinventer sur son terrain de jeu favori : la scène.
Noir Désir en public (Barclay) 2005