Le Cirque des mirages
Yanowski et Fred Parker constituent un duo unique dans la chanson française, entre expressionnisme et feuilleton Belle époque. Ils sortent l’album Fumées d’opium et sont en tournée "jusqu’à ce que mort s’ensuive". Beau programme.
La chanson expressionniste à l'honneur
Yanowski et Fred Parker constituent un duo unique dans la chanson française, entre expressionnisme et feuilleton Belle époque. Ils sortent l’album Fumées d’opium et sont en tournée "jusqu’à ce que mort s’ensuive". Beau programme.
Un paysage sinistre sous une lune blafarde, des visages pâles aux yeux cernés, des cartes de tarot et un bandonéon étiré, un haut-de-forme renversé d’où s’échappe une inquiétante fumée, l’amorce d’un sourire ambigu : le chanteur Yanowski et le pianiste Fred Parker posent sur la pochette du nouvel album du Cirque des Mirages d’une manière qui ne laisse aucun doute sur leur répertoire. On n’entendra pas ici de "chérie je t’aime, chérie je t’adore", ni d’hymne aux pâquerettes et aux canaris. Le Cirque des Mirages s’est fait remarquer depuis deux ans par des concerts vigoureusement singuliers et par un premier album enregistré en public. Avec Fumée d’opium, ils se hissent au palier suivant : douze chansons remarquablement orchestrées en studio et une tournée française qui passe par nombre de scènes nationales.
Comment définir le duo ? Expressionniste ? "Nous nous revendiquons de l’expressionnisme, sans que ce soit un néo-expressionisme, explique Yanowski. On dira plutôt un nouvel expressionnisme." Passéiste ? "Nous sommes des jeunes gens de trente ans, de la génération qui a découvert le rap à l’âge de vingt ans, qui est traversée par la musique actuelle, qui appartient à son époque. Mais l’expressionnisme tel qu’on le vit et le chante aujourd’hui n’arrive pas pour rien : c’est la revendication d’individus écrasés par les machines de la technologie, comme les Allemands à l’ère de l’industrialisation massive dans les années 20. La prolifération d’images du Cirque peut appartenir à un certain passé, mais c’est un passé archétypal. Nous sommes des chanteurs d’aujourd’hui. Nous ne sommes pas à contretemps, nous sommes seulement à contre courant." Il est vrai que leurs chansons racontent des drames dans des faubourgs de ce qui semble l’aube du siècle dernier, des cavalcades dans l’Est européen ou l’Afrique des grands aventuriers, des venins et des drogues d’une tout autre époque que celle du crack et de l’extasy ... On se croit parfois dans un cabaret de Kurt Weill ou dans la bande-son d’A rebours de Joris-Karl Huysmans, dans un film de Fritz Lang ou dans un feuilleton populaire à l’époque du Grand Guignol ...
Les références
Mais le personnage extravagant de Yanowski, par ses grands gestes, sa voix orageuse, son énergie de comédien, fait parfois songer à Jacques Brel. "La référence peut faire plaisir au début parce que c’est quand même une bonne référence. Puis ça m’énerve parce que, pour les inspirations, jamais Brel n’aurait chanté Le Terrible Enfant à gueule de chien, ni Celui qui est poursuivi par son ombre, ni Le Singe... La voix ? La mienne est beaucoup plus nasillarde. La gestuelle ? Effectivement, si on cherche, aujourd’hui ou dans le passé, un chanteur qu ne touche pas à son micro, qui joue en même temps qu’il chante, on n’a plus beaucoup le choix : on va penser à Piaf, à Montand, à Brel... " Le romanesque et les contes noirs de la période réaliste de Piaf, le sens du théâtre de Montand, l’engagement physique de Brel : le portrait n’est pas complet. Il faudrait ajouter la noirceur sardonique et vaguement moraliste de Nick Cave, et encore quelque chose de l’univers narratif d’un Tod Browning – la monstruosité comme révélateur de l’âme humaine "ordinaire".
Sur scène comme pour l’écriture, le Cirque des Mirages est un duo. "Fred est arrangeur de métier et assume la direction musicale. Quand on écrit pour piano, on entend déjà l’orchestration derrière. Il y a du volume dans son écriture de piano." Le pianiste et compositeur assure quant à lui que "les thèmes des chansons naissent à deux. C’est une création en duo dès la première ligne de texte et de musique." Ils partagent la même passion pour Prokofiev. Yanowski a un bagage très début XXe siècle, de Debussy à Berg, tandis que Parker a beaucoup joué de jazz et de rythm’n blues. Et la chanson ? Parker n’en avoir pas dans sa discothèque. Yanowski enfonce le clou : "Nous n’avons pas l’impression de faire de la chanson. Nous faisons plutôt de la magie, ou de la poésie."
En parlant de magie, ils avouent un ancrage fantasmatique dans le cirque, mais de créer un cabaret expressionniste. Pour l’instant, ils tournent "jusqu’à ce que mort s’ensuive", en voyant peu à peu s’agrandir les salles qui les accueillent. On parle d’une Cigale au printemps, d’une collaboration avec l’Orchestre symphonique de Mulhouse pour les Eurockéennes, d’un DVD d’une forme plus étrange qu’une simple captation de concert ... "Pour tout avouer, on se demande si on ne va pas glisser vers le film musical. Parce qu’on se demande si on ne fait pas plus du cinéma que de la chanson."
Le Cirque des Mirages Fumées d’opium (CD Philips-Universal) 2005
Tournée : les 6 et 7 octobre à Mulhouse, le 11 à Paris (Café de la danse), le 12 à Nouzonville, le 14 à Lavelanet…