Leprest donne de ses nouvelles

Conjonction heureuse dans la carrière en dents de scie de Leprest : un nouvel album, Donne-moi de mes nouvelles, et une série de récitals à Paris.

Rencontre avec un chanteur maudit

Conjonction heureuse dans la carrière en dents de scie de Leprest : un nouvel album, Donne-moi de mes nouvelles, et une série de récitals à Paris.

      Avec Allain Leprest, rien n’est jamais sûr, rien n’est jamais rectiligne. Depuis une vingtaine d’années qu’il donne à entendre une des voix les plus belles de la chanson française, sa carrière est heurtée, fait se succéder faux départs, occasions manquées et – pour tout dire – gâchis déprimants. Mais, ces jours-ci, la conjonction est parfaite : il chante au théâtre Silvia-Monfort, à Paris, du 2 au 6 novembre, alors que paraît un nouvel album bouleversant, Donne-moi de mes nouvelles. Des retrouvailles avec la scène ? Pas tout à fait puisque que Leprest chante assez souvent dans les petits lieux parisiens et les salles – un peu plus grandes – qui en banlieue programment de la chanson dans ses valeurs classiques. Mais il se réjouit de cette "rentrée" au Silvia-Monfort : "C’est la première fois que je vois ma gueule sur une colonne Morris."

Il se trompe : il a oublié l’Olympia en 1986, qui avait donné un magnifique disque en public – introuvable depuis belle lurette. Il a poursuivi un chemin difficile, maintenant le cap d’une chanson née dans les grands maîtres. "Mon père avait fait deux petites chambres dans le grenier quand nous étions à peu près adolescents. On avait deux petits Teppaz : mon frère écoutait du rock et j’achetais mes premiers Ferré – Amour anarchie, La Mémoire et la Mer – et puis Brel, Brassens. Il y avait un concours d’une chambre à l’autre ; il montait le son, je montais le son. J’étais très crispé contre mon frère qui n’écoutait pas les paroles, mais Janis Joplin me bouleversait."

 

 Son nouveau disque le voit piocher ouvertement dans des formes narratives et musicales qui datent parfois d’avant-guerre. Une chanson réaliste ? "Je ne l’incarne pas, je ne la défends pas, je l’aime, cette chanson. Je ne vais pas me mettre à faire du swing, du rock, à changer mes habits, à faire le vieux beau. C’est la seule chose que je sais faire : une chanson qui raconte des histoires et des sentiments. Les types de musique peuvent être différents mais c’est surtout l’émotion qui compte. J’espère faire une chanson – c’est peut-être un peu prétentieux – qui vient de gens qui m’ont bouleversé comme Carco ou Mac Orlan ... "

Il aime conter des destinées brisées, des tristesses de bout de comptoir, des errances de l’âme. Ce ne sont pas seulement des chansons noires : il affirme que, toujours, "ça descend pendant la chanson mais, à la fin, j’ouvre la fenêtre pour ne pas me faire peur à moi-même." Animant souvent des ateliers d’écriture, dispensant avec générosité ses conseils et son temps à ses cadets, il est reconnu aujourd’hui comme un des plus impressionnants auteurs de chansons en France. Mais il continue à se poser des questions : "Le plus délicat c’est d’écrire des chansons simples. Il y a autant de subtilité et d’émotion dans Ma p’tite chanson de Bourvil que dans La Mémoire et la Mer. Moi je tombe toujours dans des drôles d’inventaires, je suis davantage un entasseur de mots. "

Sa carrière en dents de scie ne lui laisse toutefois guère d’amertume. Aujourd’hui qu’il compte parmi les aînés, les références, les influences de toute une part de la jeune génération, il se réjouit "qu’on retrouve cette envie de faire des photomatons de la société, des gens, cette envie d’une chanson à histoires – La Rue Kétanou, Loïc Lantoine, Mon Côté Punk… Je suis content de fraterniser avec cette génération et d’y trouver des passerelles avec ce que j’écris." Il a enregistré son magnifique C’est peut-être en duo avec Monsieur Poli sur le nouvel album du jeune chanteur, il a invité Olivia Ruiz à interpréter Etes-vous là ? sur le sien. Pourtant, il avoue : "Je suis toujours très étonné de toutes les rencontres que je fais. Je ne suis pas dans ce milieu, je suis dans les bois."

 

    Il a bien des amis dans ces bois-là : les musiques de son nouvel album sont signées notamment de Michel Précastelli, Christian Paccoud, Gérard Pierron et du fidèle Romain Didier. Depuis presque vingt ans, ils écrivent à quatre mains, partagent des chansons, se chantent parfois l’un l’autre. Alors qu’est réédité leur conte pour enfants Pantin Pantine, enregistré par Jean-Louis Trintignant, les deux compères travaillent à un spectacle commandé par la ville de Fès sur la Méditerranée : "Un grand spectacle joué par une cinquantaine de musiciens et un choeur de soixante enfants, un maelström méditerranéen sur cette mer, tous ses peuples et toutes ses cultures. Romain appelle cela un oratorio." Pour la création, en 2006, ce seront Enzo Enzo et Romain Didier qui seront les interprètes.

Allain Leprest Donne-moi de mes nouvelles (Tacet Production/Mosaic) 2005

Concert : Théâtre Silvia-Monfort, du 2 au 6 novembre 2005