Livres et notes d'hiver

Cette rentrée dans les librairies est d’une folle prodigalité : biographies, autobiographies, monographies de chanteurs abondent. Et la tendance se confirme à une amélioration de la qualité générale des livres dans le domaine des variétés.

De Maxime Le Forestier à Frédéric François

Cette rentrée dans les librairies est d’une folle prodigalité : biographies, autobiographies, monographies de chanteurs abondent. Et la tendance se confirme à une amélioration de la qualité générale des livres dans le domaine des variétés.

Maxime Le Forestier se raconte

 

 Peu de chanteurs se sont livrés comme Maxime Le Forestier se livre à Sophie Delassein dans Né quelque part, livre d’entretien qui couvre toute sa vie, des premiers cours de violon de son enfance à l’intégrale Brassens qu’il a fini d’enregistrer cet été en public. L’artiste n’a plus grand chose à prouver ni à craindre dans sa carrière, la journaliste est à la fois complice et irrévérencieuse, utilement candide et rétive aux formules convenues. Aussi évoquent-ils tout ce que l’on connaît mal ou parfois pas du tout de Maxime Le Forestier : ses rapports singuliers avec les hippies et leur idéologie lorsqu’il fut leur idole au début des années 70, ce qui s’est passé pendant ses dix de traversée du désert, son regard sur le métier actuel, le pari qu’il a tenté en acceptant d’écrire les chansons de la comédie musicale Gladiateur ... De manière très originale, une fois l’interview terminée, Sophie Delassein est allée interroger d’autres témoins de la vie de Maxime Le Forestier, ses soeurs, quelques amis, plusieurs de ses anciens complices de scène et de studio, qui tous viennent compléter, amplifier ou corriger les souvenirs du chanteur. Le livre y gagne encore en densité et en intérêt.

Né quelque part, par Maxime Le Forestier avec Sophie Delassein, Hachette Littératures, 336 pages, 19,50 €.

Thiéfaine révélé

 

 L’emprise d’Hubert-Félix Thiéfaine sur son public, sa carrière menée à part des grands médias, la majesté surréaliste de ses textes, la fidélité rock de ses arrangements, tout cela fait de lui un personnage entièrement à part sur la scène française – à la fois marginal et populaire. Son presque homonyme, le journaliste Jean Théfaine (Chorus, Ouest-France) a réussi une superbe biographie de Thiéfaine, qui fait bien plus que lever un coin de voile : on découvre une jeunesse marquée par des années d’enseignement religieux, un tempérament de rebelle que Mai 68 exaspère, les années de noire galère au début d’une carrière aléatoire… Suivant pas à pas la vie du chanteur, le journaliste éclaire sa création d’une manière inédite, de la pâte humaine qu’il y a derrière la réussite ou les ratés d’une oeuvre, jusqu’au sous-texte de nombre de chansons. Rigoureux, précis, ce livre est le premier document d’une telle valeur sur cet artistique atypique. 

Hubert-Félix Thiéfaine, jours d’orage, par Jean Théfaine, Fayard-Chorus, 340 pages, xx €.

Zazie par Zazie et Juliette par Juliette

 

 Musik est une nouvelle collection chez Textuel, qui propose de donner la parole à des chanteurs, mais d’une manière assez neuve : par le texte, évidemment, mais aussi par l’image, en puisant largement dans les archives personnelles. Les deux premiers à se prêter au jeu ont été Zazie et Juliette, en attendant, notamment, Arthur H au début de l’année prochaine.

"Accouchée" par Camille Meyer, Zazie raconte sa vie, sa vocation, la genèse de ses chansons, ses rapports avec ses "confrères" chanteurs et avec ses musiciens en scène et en studio dans Zazie, sauvage comme une image… On s’amusera à déchiffrer des dizaines de brouillons de chansons, on admirera les métamorphoses visuelles de la dame, on décryptera tout ce que peuvent dire les petits objets personnels çà et là reproduits ... Tendrement et drôlement préfacé par Maxime Le Forestier, l’autoportrait de Zazie prolonge à merveille ses disques et ses concerts.

 

    En tout aussi parfaite conformité avec l’univers musical de l’artiste, évidemment, Juliette, mensonges et autres confidences, que la plus lettrée des chanteuses françaises a écrit à la première personne. Le texte est évidemment plus dense, mais saute avec une humeur joyeuse de l’autobiographie au journal d’album, de chanson en chanson, de l’autodérision à l’amour de la musique et des musiciens. Juliette ouvre tout grand son armoire à souvenirs, de la belle figure de son père, saxophoniste et clarinettiste de music-hall, aux secrets de l’écriture de son disque Mutatis Mutandis.

Ces deux livres ouvrent des voies nouvelles au regard, encore assez conventionnel, porté par les éditeurs français aux musiques populaires. L’actif Laurent Balandras, directeur de cette collection, compte tenir un rythme de quatre ou cinq livres par an. Une perspective diablement stimulante ...

Zazie, sauvage comme une image, par Zazie et Camille Meyer, Textuel, 120 pages, 29,90 €.

Juliette, mensonges et autres confidences, par Juliette, Textuel, 120 pages, 29,90 €.
Dassin par Lemesle

 

 Claude Lemesle a écrit quelques dizaines de textes pour Joe Dassin, seul ou en collaboration avec Pierre Delanoë (L’Equipe à Jojo, Salut les amoureux, L’Eté indien). Il fut l’ami du chanteur, son compagnon de travail, son confident, le témoin privilégié de toute sa vie. Ce qu’il raconte, dans ce livre adressé à Julien, le dernier fils de Joe Dassin, c’est "un conte de fée qui glisse lentement, consciencieusement, vers la tragédie" : l’envol d’un des plus grands chanteurs populaires des années 60-70, la pression énorme qu’il subissait, son perfectionnisme et ses angoisses, le soulagement désastreux apporté par l’alcool et, pour finir, la mort sous le soleil de Tahiti, alors que Dassin n’avait pas quarante-deux ans. Il y a là une foule d’anecdotes, de détails, de confidences, de petits secrets et de grandes émotions, qui dessinent avec vivacité un homme, une carrière et, plus largement, une certaine époque de la chanson française, à la fois industrielle et artisanale, obsédée par le succès mais sans certitudes quant à ses recettes ... Comme la plume de Claude Lemesle est vive, sincère, droite, ce livre se lit d’une traite, comme on se laisse porter par une chanson forte.

Puisque tu veux tout savoir, Confidences à Julien Dassin, par Claude Lemesle, Albin Michel, 256 pages, 15,90 €.
Frédéric François se raconte

 

 Livre inattendu, l’autobiographie de Frédéric François est d’une rare franchise, et par là réserve quelques surprises. Au-delà du récit parfois prévisible de quelques grands succès ou de considérations sur l’affection des fans, il y a là quelques passages troublants de vérité, comme l’aveu qu’il fait des ravages psychologiques de sa "traversée du désert" à l’aube des années 80. Musicien populaire avec toute la noblesse et la modestie que cela implique, il fait parfois de belles confidences, comme le fait de n’avoir osé l’Olympia qu’après avoir vendu vingt millions de disques. Amoureux de Frédéric François comme néophytes en chanson sentimentale de grande consommation prendront plaisir au tableau de son enfance et de sa jeunesse de Sicilien de Belgique. Un livre attachant, doux et franc, qui ressemble vraiment à son auteur.

Autobiographie d’un Sicilien, par Frédéric François, Ramsay, 336 pages, 16€.