L'année "Rap"
2005 année rap ? Même si novembre a été pollué par la polémique partisane du député UMP Grosdidier, il ne faudrait pas oublier les quelques hauts faits du hip hop français des douze derniers mois.
De Ali au Saïn Supa Crew
2005 année rap ? Même si novembre a été pollué par la polémique partisane du député UMP Grosdidier, il ne faudrait pas oublier les quelques hauts faits du hip hop français des douze derniers mois.
Commençons par évoquer la vraie révélation publique de 2005, Sinik. Avec La main sur le cœur, ce rappeur du 91 a réussi à fédérer le public indé et même au-delà, avec 200.000 exemplaires vendus et un buzz étonnant. Des sons simples et directs, des textes en forme de tranches de vie, un duo brillant avec Diam’s et une personnalité sombre mais forte, voilà quelques-unes des raisons qui ont conduit ce jeune artiste au top. Cœur de pierre, Le même sang, Règlement extérieur : trois des titres qui ont conduit Sinik en haut. Sérieux client pour la Victoire de la Musique catégorie rap en 2006.
Kéry James, lui, ne vient pas de débarquer : il est là depuis presque 15 ans. Son solo Ma vérité n’a peut-être pas rencontré le succès escompté, mais il n’en reste pas moins un album majeur (et sans avoir besoin de tendre le majeur, soit dit en passant, car Kéry contrôle ses poses et ses mots). Adaptation du classique de Public Enemy Rebel Without A Pause (Je revendique), autocritique poignante (En feux de détresse), version testostérone du fameux Hardcore (Hardcore 2005), duo avec Amel Bent sur instru Eurythmics (Nos rêves) : Kéry se livre à une introspection intense et instruit son public.
Un mot pour saluer un album hors normes aux lyrics très travaillés, celui du Klub Des Loosers, l’alias du rappeur Fuzati de Versailles qui nous livre le spleen du fils de banlieue riche avec une autodérision dont le hip hop classique ferait bien de s’inspirer. Vive la vie parle surtout de la mort et du suicide, mais avec un humour aussi noir que Fuzati est blanc. L’alien de 2005. Autre drôle de zèbre, Aèlpéacha, Alpha en phonétique, nous a proposé J’arrive jamais, étrange album aux mélodies west coast avec en vedette un incroyable interlude sur les codes de la rue dans le quartier des Halles à Paris.
Toujours chez les indés, la bonne surprise est venue du 02, Charly-sur-Marne pour être précis. C’est là que Dernier Pro a finalisé son premier album, Visions, où on retrouve le superbe Suicide, un des titres les plus forts de ces derniers mois, boosté par un vrai violon et un piano en deuil. On attend le second de cet artiste prometteur pour courant 2006.
2005 aura confirmé la montée en puissance du r'n'b, qui flirte souvent avec le hip hop. Mais la vraie révélation féminine aura été une pure chanteuse de soul, Kayna Samet. Découverte grâce à ses featurings avec IAM (Nous) et Booba (Destinée), Kayna a explosé avec son premier solo Entre deux je. Des musiques soul qui sentent bon la sueur de musiciens plutôt que la froideur des samplers, des paroles très personnelles, un featuring de Sinik et un duo avec Mobb Deep : bref, Kayna Samet a déjà tout d’une grande.
On reste dans l’âme sombre avec Ali, rescapé du duo Lunatic et qui contrairement à son ex-complice Booba s’élève au-dessus du bitume avec le très austère mais très puissant Chaos & harmonie, d’où sortent des titres blindés et spirituels tels que Génération Scarface. Dans le mauvais, il y a du bon aussi… Le nord transmet toujours le message grâce à Tandem, héritiers putatifs de l’esprit NTM avec un album siglé 9-3, C’est toujours pour ceux qui savent. Du vécu de poissard, une trilogie sur un jugement et la fougue des warriors du rap lourd sur 93 Hardcore, un hymne qui a échappé à la vigilance des politiques mais pas à celle des vrais amateurs de hip hop lourd, écrit avec une plume trempée dans le fer rouge.
Le Saïan Supa Crew signe avec un troisième album au titre trompeur, Hold-up, son vrai retour : autant le prédécesseur X raisons sonnait mou et inutile, autant ce nouvel essai renoue avec la fougue juvénile des débuts. Le Saïan collabore aussi bien avec Will.I.Am des Blackeyed Peas qu’avec la chanteuse Camille. Et le clip de La patte est le plus comique du rap français depuis… Euh, Le mia peut-être ?
Monsieur Borsalino, alias Lino d’Ärsenik, ne démérite pas avec son solo Paradis assassiné qui n’a pas trouvé son public mais contient néanmoins les rimes assassines auxquelles Lino nous a habitué, notamment sur le très poignant Où les anges brûlent. Dommage que sa tuerie sur un instru des Choristes n’ait pas pu être inclus pour de bêtes raisons de copyright…
La place manque pour parler de tous les méritants. Alors mention spéciale à Monsieur R et son Politikment incorrekt, aux Spécialistes pour leur Reality show, à la compile Street Lourd Hall Stars qui a réuni les MCs de choc Booba et Kéry James, à Lady Laistee qui revient de loin avec Second souffle, à Sté Strausz qui continue elle aussi à donner ses lettres de noblesse au rap féminin avec Fidèle à moi-même. Mais aussi à L. I. M. la révélation caillera du rap de rue non coupé, au 113 pour 113 degrés, au Sénégalais Awadi pour Un autre monde est possible et au super groupe Noyau Dur pour leur premier album conjuguant les flows de Pit Baccardi, Ärsenik et Nèg’Marrons.
On conclura ce panorama avec une vue sur le futur. Keny Arkana, jeune rappeuse marseillaise d’origine argentine, a lâché son street album L’esquisse qui révèle la face visible d’un iceberg qui va défoncer le Titanic du rap français. Emouvante, puissante, violente, sensible, écorchée vive, révoltée dans l’âme, Keny sera la voix de 2006. En attendant son premier album "officiel" qui sortira chez Because Music, plongez-vous dans le monde de Keny Arkana avec des titres comme Le missile est lancé ou Le rap a perdu ses esprits : le hip hop français vient de découvrir sa nouvelle pasionaria. Hasta la Victoria siempre avec Keny, la bombe humaine. Et bonne année rapologique 2006 !