Gino Sitson
Sortie française de Bamisphere, le troisième opus du Camerounais installé à New York. Virtuosité et liberté en sont les maîtres-mots. L’Afrique et le jazz y servent de prétexte pour un ultime numéro d’acrobatie vocale aux messages clairs et sans complexes aucuns.
Bon vent aux Amériques
Sortie française de Bamisphere, le troisième opus du Camerounais installé à New York. Virtuosité et liberté en sont les maîtres-mots. L’Afrique et le jazz y servent de prétexte pour un ultime numéro d’acrobatie vocale aux messages clairs et sans complexes aucuns.
"Cet album représente mon ancrage dans une certaine vision de la musique. Il y a l’ancrage par rapport à mes racines africaines, il y a mon appétit pour le jazz, il y a surtout mon côté hybride. J’y exprime un peu plus mon identité" raconte Gino, pendant que Sitson nous explique qu’il s’agit en fait d’une étape déterminante dans sa jeune carrière : "C’est un album de rencontre. New York y a joué un rôle important. Cette ville m’a permis de rencontrer les musiciens avec qui j’ai travaillé. Ce sont des légendes dans leur domaine". Ron Carter à la contrebasse est l’un des instrumentistes les plus étudiés en jazz actuellement. Jeff "Tain"Watts à la batterie est un habitué du clan des Marsalis. Des pointures qui lui servent de "pont" vers un ailleurs où le partage des imaginaires devient une évidence. Ainsi tient-il à rappeler que les racines bamileké, qui ont donné titre à son nouvel album, ne l’intéressent que parce qu’elles le poussent à aller vers un monde plus ouvert : "Elles sont généreuses. Elle ont les mains – et les oreilles ! – grandes ouvertes. Mon identité a des wings à la base. Des ailes qui me font voyager".
RFI Musique : Vous avez quitté la France où vous composiez notamment pour la télé, pour les Etats-Unis. Un choix de carrière qui donne l’impression que vous vous en sortez beaucoup mieux professionnellement ?
Gino Sitson : Les Etats-Unis sont un pays beaucoup plus ouvert sur le plan artistique. L’innovation y est valorisée. On y laisse les créateurs exister. On ne leur prescrit pas ce qu’ils doivent être, comme en France, ou, certains, à force de croire tout savoir, étouffent la création. Et là, je parle de création en général, pas que de la création venant des artistes africains.
L’intérêt de l’industrie musicale pour les sonorités d’Afrique et d’ailleurs a connu son heure de gloire en France. Nombre de pays font même figure de suivistes dans cette histoire musicale. Mais il est vrai que de plus en plus d’artistes d’origine africaine affichent à présent leur préférence pour l’Amérique…
C’est triste. En France, tout le monde tourne en rond, s’essouffle et puis étouffe. Il y a comme un état de déprime général. Autour de moi, je vois effectivement beaucoup d’artistes (cinéastes, écrivains, musiciens…) quittant la France pour tenter leur chance aux Etats-Unis. Dans le cas précis des artistes africains, leur problème en France, ce sont les clichés. Trop de clichés sur l’Afrique. J’ai été dans des maisons de disques où l’on me disait ce qu’il fallait que je fasse. J’ai même entendu des commentaires aussi stupides que celui-ci : "c’est pas assez africain ce que vous faites !" A bien y repenser, c’est plus que stupide comme commentaire. C’est une manière déterministe et très grave de voir l’artiste africain. On vous dit : artistes africains, voici ce que vous devez faire, voici ce qu'on attend de vous. Toujours la même chanson : balafon, boubou, tamtam… avec une histoire de vie qui fait pleurer au possible. On vous enferme dans une étiquette bourrée d’imaginaire néo-colonial. Ici, aux Etats-Unis, on sent s’exprimer une autre dynamique. On ne cherche pas à vous enfermer dans une boîte. Ça n’est pas facile mais tout est possible, à condition de travailler dur et de faire preuve de beaucoup de volonté. Le fait que mon deuxième album, Song Zin ait pu être sélectionné parmi les 10 meilleurs disques de jazz de l’année par l’un des plus prestigieux journaux américains, le Los Angeles Times, me semble assez parlant. C’est d’ailleurs la première fois qu’un artiste africain a été retenu dans ce classement.
A priori vous êtes dans la même situation que nombre d’artistes africains aujourd’hui, qui sont obligés de tourner le dos au Continent pour ne plus s’attacher qu’au public occidental, qui paraît plus "solvable" ?
Chez moi, on dit que "la chèvre broute là ou on l'a attachée". Je ne tourne le dos à personne. Certainement pas à l'Afrique pour ne m'attacher qu'au public occidental. Simplement comme je vis aux Etats-Unis, j'ai l'occasion de faire connaître positivement, et à ma manière, l'Afrique à l'Occident, qui a très souvent une image sombre et erronée du continent d'où je viens...
Gino Sitson Bamisphere (Nocturne) 2006