Un chanteur sans frontières

Cela fait vingt ans que Daniel Balavoine s’est tué dans le désert au Mali : une intégrale et une biographie marquent cet anniversaire.

Sortie d'une intégrale de Balavoine

Cela fait vingt ans que Daniel Balavoine s’est tué dans le désert au Mali : une intégrale et une biographie marquent cet anniversaire.

C’est une mallette, une petite mallette comme on n’en voit qu’aux mains des techniciens, ceux qui voyagent pour porter le son ou la lumière des spectacles, ou alors l’eau, la santé, l’éducation partout où elles font défaut. On imagine bien Daniel Balavoine avec une mallette de ce genre, dans un village d’Afrique, il y a vingt ans. Et c’est pour célébrer le vingtième anniversaire de sa disparition, dans un accident d’hélicoptère au cours du Paris-Dakar 1986, que Barclay a rassemblé toute son œuvre dans une petite mallette grise titrée Balavoine sans frontières.

Cela fait plus de trente ans que Daniel Balavoine a publié son premier disque, De vous à elle en passant par moi, album imparfait qui semblait hésiter entre Patrick Juvet et le plus sophistiqué des rock anglais. Suivrait Les Aventures de Simon et Gunther, en 1977, concept-album qui fleure bon le prog rock et ses enthousiasmes patauds. On y entend le Genesis de Nursery Cryme, une voltige vocale sans gros risque à la Beach Boys mais aussi le climat de féerie provinciale d’Ange, qui emprunte à la musique de cirque ou à la grammaire d’illustration mélodique des dramatiques radiophoniques. C’est le bagage musical d’un jeune bourgeois de ces années-là, marqué par les Beatles peut-être autant que par les Rubettes et Queen – une des premières générations élevée dans le déferlement continu de la musique dans tous les instants de sa vie. Car Balavoine n’est pas seulement un fou de musique qui aime faire de la musique : il l’écoute, il y baigne, il y pense continûment, mais aussi y réfléchit. D’où ses ambitions, d’où la perméabilité de sa musique.

Ambitions ? Dans Le Roman de Daniel Balavoine, la biographie qu’il vient de publier, le journaliste Didier Varrod revient longuement sur ce que lui avait dit le chanteur lors de nombreuses interviews et conversations à bâtons rompus : il était obsédé par les Anglo-saxons et par les complexes des variétés françaises. Ecœuré par la médiocrité de ce qui se prétendait à l’époque être le rock français, il proclame qu’il faut oser voir grand et penser large. Il s’entoure de musiciens et de techniciens anglais ou qui se sont frottés à la scène internationale, investit à chaque tournée dans les dernières techniques de son et de lumière, achète les synthétiseurs les plus récents (cet omniprésent Fairchild des derniers tubes, notamment, et dont les couleurs sont devenues caricaturales de la seconde moitié des années 80)…

Ce chanteur qui réfléchit à l’exercice de son métier est peut-être celui qui chante le plus à propos de son métier, justement. Sur ce thème, il obtient un succès rare, du point de vue artistique comme en termes de ventes : Pas plus intelligent en 1975, Ma musique et mon patois en 1977, Le français est une langue qui résonne, Le Chanteur et France en 1978, Pour faire un disque et Vendeurs de larmes en 1982. Il se questionne et questionne son public sur ce que signifie la gloire, sur le rôle qu’il peut et doit jouer dans la société, sur les rapports forcément intimes qui se nouent entre le chanteur et chacun de ses auditeurs. Une génération après Barbara et Ma plus belle histoire d’amour c’est vous, il préfère une sincérité aux apparences cyniques ("J'veux faire des tubes et que ça tourne bien/J'veux écrire une chanson dans le vent/Un air gai, chic et entraînant/Pour faire danser dans les soirées de Monsieur Durand") à l’exaltation amoureuse.

Avec quelques années d’avance sur Goldman dans le succès, il va composer un personnage neuf sur la scène française. Jusque-là, on est un chanteur de variétés ou un chanteur engagé, un militant ou une personnalité du show biz, un chanteur à minettes ou un chanteur à textes. Lui, il est tout à la fois : star qui fait chavirer les cœurs tout en criant contre l’injustice, grand pourvoyeur de refrains pour bals du samedi soir et conscience de la chanson française. Sa mort elle-même dit la singularité et la nouveauté de sa démarche : il est au sommet de la renommée et en joue pour informer les Français sur les besoins en développement de l’Afrique et aider à l’acheminement de l’aide. C’est pourquoi, après avoir trois fois participé à l’épreuve au volant d’une voiture, il suit le Paris-Dakar lorsqu’il est tué avec Thierry Sabine, le fondateur du rallye-raid.

Il laisse une impressionnante série de tubes et six albums d’une puissance historique : Le Chanteur (1978), Face amour face amère (1979), Un autre monde (1980), Vendeurs de larmes (1982), Loin des yeux de l’Occident (1983), Sauver l’amour (1985). Certes, le succès lui vaut d’être méprisé çà et là : le premier article que lui consacrera le quotidien Libération sera sa nécrologie. Mais il marque son temps d’une manière incroyable, qu’il règle son compte au gauchisme de sa génération (dans Les Oiseaux 2), assume avec une audace neuve la fragilité masculine (dans Ces petits riens, peut-être plus symptomatique du "nouvel homme" que l’Allo Maman bobo fondateur d’Alain Souchon), incarne les peurs d’un temps qui ne connaît pas le chômage de masse (dans Mort d’un robot), médite sur les bons sentiments et l’humanitaire (dans C’est fini) ou explore les ressorts noirs d’une sexualité interdite (dans La Fillette de l’étang ou Les Petits Lolos)… C’est cela sans doute qui permet à son œuvre de durer, au-delà de chansons romantiques et parfois plus volatiles : comme un Michel Delpech un peu plus tôt, comme un Bénabar des années plus tard, Balavoine à la fois incarne et accompagne son époque.

Daniel Balavoine Balavoine sans frontières, 12 CD Barclay-Universal 2005
Daniel Balavoine Le Chanteur, 2 DVD Barclay-Universal.2005
Didier Varrod Le Roman de Balavoine, 346 pages, 20 €, éd. Fayard-Chorus. 2006
La revue Chorus-Les Cahiers de la chanson consacre la couverture et le dossier de son numéro 54 à Balavoine.