Festival Sons d’Hiver
La quinzième édition du festival Sons d’Hiver qui se déroule jusqu'au 4 février, fait cette année la part belle au spoken word et au rapport texte et musique. Dans le cadre d’une rencontre avec le groupe de jazz Thôt le 17 janvier, et à la veille de la sortie d’Incassable(s), son projet d’album atypique, D de Kabal s’aventure avec brio sur des terrains inconquis.
D de Kabal : Inclassable
La quinzième édition du festival Sons d’Hiver qui se déroule jusqu'au 4 février, fait cette année la part belle au spoken word et au rapport texte et musique. Dans le cadre d’une rencontre avec le groupe de jazz Thôt le 17 janvier, et à la veille de la sortie d’Incassable(s), son projet d’album atypique, D de Kabal s’aventure avec brio sur des terrains inconquis.
Ce soir, D de Kabal ne dînera pas avant le concert : "on rappe mieux sans patates dans la bouche" rigole-t-il. Sur scène dans le cadre du festival Sons d’Hiver avec Stéphane Payen et le groupe de jazz Thôt, accompagné du rappeur slameur Félix Jousserand, D de Kabal prend le temps de s’asseoir un peu. Et nous pique des feuilles blanches. "Ce soir, on ne sait pas précisément ce qu’on va faire. On s’est déjà écouté jouer, et on sait plus ou moins qui compte faire quoi, mais c’est une vraie improvisation en terme de dialogue. J’improvise rarement des textes, mais plutôt des intentions en fonction par exemple du public".
Caverne habitée
L’expérience de ce soir est particulièrement jouissive pour D. : le jazz et ses variations permet une souplesse du débit. "Il y a une variation de tempo énorme, tu peux passer du slam au rap, du lent au rapide. Le rythme est plus complexe et donc l’éventail des possibles s’ouvre, et c’est ce que je préfère". Sur scène, D. et Félix J. prennent le micro chacun leur tour et dénoncent les cadres de vies urbains, dont on ne voit plus l’absurdité à force de trop les voir. Ils dépeignent les nouvelles solitudes et les anciens cloisonnements. Ils mettent à nu la peur panique de l’Autre et les solidarités d’apparât. Sur un jazz tantôt soyeux, totalement free ou plutôt funky, D. met à nu l’identité métisse, et rhabille tout les peuples que l’Histoire a dépossédé. "Ma voix est à l’image de mes écrits, connectée avec les abîmes" scande-t-il. Sa voix est une caverne habitée des bruits de la ville.
Sur la scène de ce théâtre de banlieue, D. rappe, slame, et colle au rythme imposé par Stephane Payen et Hubert Dupont. Impro, mais carré. Félix J. et D. dont les univers marchaient en parallèle, rentrent en symbiose, et se répondent. Dialogue où les voix elles-mêmes deviennent des instruments. Création instantanée, vivante, bruissante et forte. Chair de poule dans le public.
D. de Kabal, car ayant appartenu au groupe du même nom, flirte depuis le début des années 90 avec le rap, le slam, le théâtre pour ne choisir aucun art, mais pour les choisir tous. Exemples d’un foisonnement artistique bien entretenu. Il rentre juste d’une tournée en Afrique de l’Ouest avec Hassane Kouyaté pour l’adaptation française de Sozaboy, chef d’œuvre du Nigérian Ken Saro Wiwa qui raconte l’histoire de Méné, enfant soldat dans la guerre du Biafra. Un gros succès dans les pays traversés, où la langue parlée, slamée, ou jetée par D. et Hassane Kouyate était proche de celle du public. Côté rap, d’ici peu, D. produira Frèr 200 par le biais de son label Asphaltiq, un groupe prometteur de rap français, déjanté et en avance sur son temps.
Poches de liberté créatrice
Tandis que le 23 janvier prochain, aboutit son projet Incassable(s), qui tient beaucoup plus du manifeste que du simple "nouveau disque". Incassable(s) nourrit l’idée d’une nouvelle méthode de production d’album. Il sera diffusé uniquement sur la Toile, et ne connaîtra aucune restriction en terme de diffusion. Il s'agit d’emprunter une voie parallèle aux circuits de distribution traditionnels, en gommant les intermédiaires entre l’artiste et le public (qui dispose gratuitement de l’album dès sa sortie, se l’approprie et peut le diffuser en toute légalité), selon le site internet de D. Défendant l’enregistrement en home studio et l’esprit d’indépendance artistique et financière, D. resitue la création dans un véritable engagement artistique où talent, paris risqués, ambition et éclectisme sont le maître mot.
Un peu plus loin, on peut y lire le texte Music librrr !!, ou les "dix règles pour que la musique reste une poche de liberté créatrice et vecteur d’émotions réelles, non falsifiées". La première ? "Tu es la conscience artistique de ton projet". Ainsi, si pour D. il est évident qu’un artiste gagne sa vie avec les concerts et non avec les albums, il préfère mettre sa musique à disposition de tous. Pour Incassable(s), album aux sonorités hip hop, D. s’est entouré de producteurs de bonne facture, et on devine, vu la qualité du concert de ce soir et celle du disque Contes ineffables sorti en 2003, qu’elle sera au rendez-vous.