L'ONJ revisite Led Zep
Traduire Led Zeppelin en jazz : tel est le pari audacieux lancé par Franck Tortiller lors de son élection à la tête de l’Orchestre National de Jazz en septembre dernier. Aujourd’hui, la sortie de l’album Close to Heaven, subtil mélange de rock et de jazz bourré d’énergie, marque le succès de ces trois mois de mandat.
Un disque pour la nouvelle formation de F.Tortiller
Traduire Led Zeppelin en jazz : tel est le pari audacieux lancé par Franck Tortiller lors de son élection à la tête de l’Orchestre National de Jazz en septembre dernier. Aujourd’hui, la sortie de l’album Close to Heaven, subtil mélange de rock et de jazz bourré d’énergie, marque le succès de ces trois mois de mandat.
Phénomène étrange que ce dernier album de l’Orchestre National de Jazz, Close to heaven, auréolé de fleurs bigarrées aux couleurs seventies ! Dans cette jungle musicale débordante d’énergie, les instruments et les styles tendent à se déguiser. Les cuivres s’approprient à l’envi des solos de guitare électrique, tandis que le duo de batteries amorce des pulses dangereusement binaires. Quant à la voix, percussive et trafiquée à l’électro, elle s’aventure parfois du côté du hip hop, pour revenir au hard rock originel. Sur le devant de la scène, servies par des nappes vibraphonesques, des mélodies qu’on aurait déjà entendues quelque part, par hasard, semées comme autant de balises : Stairway to Heaven, Kashmir…les tubes du groupe légendaire Led Zeppelin.
L’ensemble de l’œuvre sonne résolument rock dans son énergie et sa conception, quand le timbre et la couleur, la distribution instrumentale, appartiennent au jazz. Difficile, pourtant, de parler d’album métissé, tant Close to Heaven, beau mélange, frappe par son harmonie. L’album peut s’écouter "jazz" ou "rock" ; il revendique surtout une unité originale, servie par ce fil conducteur en ligne de mire : un hommage au groupe de Jimmy Page et Robert Plant.
Une "réconciliation musicale" des genres, donc, qui puise dans le parcours musical du directeur de la structure élu pour deux ans en septembre 2005, le vibraphoniste Franck Tortiller : "Mes influences sont très vastes. A huit ans, je jouais avec mon père dans les bals musette. L’adolescence fut consacrée au rock, puis au jazz.". Avec, en fond, une note de regret : dans les années 70, la tête de l’ONJ avait une dizaine d’années. Il aurait aimé en avoir vingt pour vivre pleinement cette "période artistique décisive, où la musique était alors plus en phase avec la société qu’avec l’économie". Et pourtant. Nul discours ne saurait mieux résumer la gestation du projet que cet enthousiasme évident : "Reprendre Led Zeppelin, ça m’éclate. Ah ouais, ça me branche !".
Un projet fort
Une joie et une envie de jouer partagée par les dix musiciens. La cohérence de l’ensemble, composée principalement de cuivres et de percussions, passe aussi par la cohésion des artistes, réunis depuis cinq ou six ans. Plus qu’un simple dextet de jazzmen constitué pour l’occasion, l’actuel ONJ se concevrait presque comme un "groupe de rock", où "l’individualité de chaque artiste prime sur le choix de tel ou tel instrument". Voici l’originalité de cet ONJ nouvelle mouture : si l’on excepte la formation de Laurent Cugny de 1994 à 1997, c’est la deuxième fois que le Conseil d’Administration élit, plus qu’un homme, une équipe dotée d’un projet fort.
Quel intérêt, alors, pour un groupe déjà soudé, de se "labelliser" ONJ, "emblème de la subvention du jazz français" ? "Je perçois cette parenthèse dans ma vie de musicien comme une super bourse, qui me permet de réaliser mes projets", confie Franck Tortiller. "Diffusion élargie, concerts, parution immédiate de l’album, subventions pour répéter : les moyens alloués garantissent un travail de fond". Et pour finaliser cette traduction de Led Zeppelin, menée sur la corde raide, voici justement ce qu’il fallait : du temps, et de l’argent. Car si le groupe initiateur du hard-rock se prête aux jeux de l’improvisation, traduire un leg "rock", avec un bagage "jazz", demeure un exercice difficile. "Le choix des morceaux m’a pris énormément de temps, de même que la conception et les arrangements", explique le vibraphoniste. "Mon hommage à Led Zeppelin ne se résume pas aux quelques clins d’œil épars, habituels aux jazzmen. Je veux que l’auditeur s’y retrouve à la première écoute. Pourtant, je ne veux pas copier".
"Traduire sans trahir", "S’affirmer sans prendre le dessus", "Changer le son, mais conserver le sens" : quelques préceptes qui auraient pu être gravés au fronton de cette œuvre…réussie. La preuve : depuis trois mois que l’Orchestre sillonne la France, même les irréductibles fans de Led Zeppelin se sont laissés séduire, contribuant, selon l’ambition de Franck Tortiller, à sortir le jazz de son public spécialisé.
Quant à la suite…Franck Tortiller amorce un projet autour de la valse, Sentimental 3/4. Un, deux, trois : changement d’univers, mais toujours cap sur le plaisir. Un projet un peu moins "branché". Franck Tortiller, lui, l’est tout autant.
Orchestre National de Jazz Close to heaven (Le chant du monde/Harmonia Mundi) 2006