Indochine

C’est dans un studio de répétition caché dans une petite rue de banlieue parisienne qu’Indochine se rode, avant d’attaquer une tournée majuscule qui démarrera le 6 mars à Montpellier. Tandis que ses acolytes travaillent leurs automatismes, le leader du groupe français, Nicola Sirkis, revient sur ce double album exigeant qu’est Alice & June et entrouvre les portes de son univers intérieur.

La dernière tournée ?

C’est dans un studio de répétition caché dans une petite rue de banlieue parisienne qu’Indochine se rode, avant d’attaquer une tournée majuscule qui démarrera le 6 mars à Montpellier. Tandis que ses acolytes travaillent leurs automatismes, le leader du groupe français, Nicola Sirkis, revient sur ce double album exigeant qu’est Alice & June et entrouvre les portes de son univers intérieur.

RFI Musique : Alice & June est véritablement un disque de guitare. Avez-vous retrouvé en Oli De Sat, le guitariste du groupe depuis quelques années, un alter ego ?
Nicola Sirkis : Tous les morceaux ont démarré par des petits riffs de guitare que je trouvais, donc c’est un disque de guitare… amateur ! Mais il y a une vraie osmose avec Oli, sur l’écriture, sur les climats des morceaux, sur la vie, en général. Il a peut-être moins le don d’écrire un truc comme L’Aventurier, mais ça n’en reste pas moins la plus belle ou l’une des plus belles rencontres de ma vie professionnelle. C’est un parcours incroyable : il est fan du groupe, il m’envoie des cassettes. Un jour, je le contacte parce que je trouve ça bien. Et le voilà principal compositeur et producteur. Ça a changé sa vie et la mienne, c’est une belle histoire. Il est sans doute devenu mon alter ego. Mais son plus grand talent, c’est aussi de n’avoir aucun ego.

C’est un disque rentre-dedans, on aurait pu attendre plus d’apaisement après ce succès phénoménal, et cette sorte de revanche sur le destin…
C’est difficile de revenir après un succès monstrueux comme Paradize. Cet album a changé la vie de beaucoup de gens. Il ne fallait pas refaire la même chose. Je me suis rendu compte, après qu’on l’ait composé, de la violence qu’il avait en lui. Quand j’ai fait écouter June à la maison de disque, j’ai vu des regards atterrés : pas parce que c’était mauvais, mais parce que c’était dur. Ce n’est pas un album apaisant, et la tournée qu’on démarre ne va pas l’être non plus. Ça sera sur le fil, et ça va sûrement être notre dernière tournée. 

Vous avez déclaré que cet album était votre Exile On Main Street, alors pourquoi ne pas continuer les tournées comme les Stones, jusqu’à plus de 60 ans passés ?
J’avais dit ça parce que, comme les Stones pour Exile, on a fait ce disque tous ensemble, enfermé dans une maison. Depuis on nous a fait remarquer que c’était un des disques des Stones qui s’est le moins vendu ! Mais ils sont toujours là. J’espère être sûr de ce que je dis quand j’annonce l’ultime tournée. Je vais la terminer à 48 ans, est-ce que ça vaut toujours le coup ? C’est tout le business qui commence à me fatiguer un peu. Si je veux que le public soit bien traité, il faut que je garde un œil sur tout. Je m’entoure de gens de confiance, mais c’est un sale monde autour de toi. On te garantit des places à 30 € et tu les découvres à 35 €. Il faut tout vérifier, et c’est ça qui t’épuise le plus. Par contre, être sur scène, c’est une des récompenses les plus extraordinaires.

L’une des forces d’Indochine réside dans son univers visuel. Comment avez-vous fait pour concilier toujours les chansons avec cet esthétisme et ces références visuelles qui sont les vôtres ?
Ce n’est pas possible de faire autrement : c’est mon univers, mon groupe, j’ai des idées précises de comment habiller tout ça. Quand on écrit un texte, on le visualise tellement bien qu’on a une idée précise de ce qu’on veut donner comme image pour l’accompagner. On m’a reproché d’être une sorte de directeur artistique, mais c’est logique, ça veut dire que je suis bien inclus dans mon univers, que je le gère bien. J’essaye de donner une vie et une image à mes chansons, ce n’est pas seulement un texte écrit sur une musique.

Comment est née l’idée de cette pochette pour Alice & June ?
C’est une toile d’une peintre américaine, Ana Bagayan. Elle fait partie de ce mouvement “pop surréaliste”, avec Mark Ryden, Marion Peck… C’est tout à fait mon univers : des images enfantines, dans un monde déglingué d’adulte. Beaucoup de gens du rock aiment ça : Beck, Björk… Le plus gros acheteur de Ryden, c’est Johnny Depp. J’ai rencontré ces artistes l’an dernier, lors d’une expo. Tout ça a démarré avec Alice au pays des merveilles, que je lisais à ma fille. Ce livre, c’est une féerie déglinguée, une sorte de “bad trip”. Mes références littéraires, artistiques, ma culture et ma sous-culture sont mes principales sources d’inspiration. Je vais toujours dans les musées et les galeries. Quand on était à New York, pour enregistrer avec Melissa Auf Der Maur, elle nous avait invités à assister à une performance artistique, où il y avait un mec de Sonic Youth, les gens de Hole... A New York, il y a un lien entre l’art moderne et le rock mais à Paris, c’est plutôt moyen. On voulait faire notre concert secret au Palais de Tokyo, mais on n’a pas pu, pour des problèmes de sécurité. J’aurais adoré jouer dans un musée. C’est dommage que ce soit réservé à des trucs un peu “hype”.

L’imagerie d’Indochine est liée à l’enfance, mais souvent dans un contexte sexuel. Cela ne vous a jamais causé de souci ?
Je ne suis pas non plus le David Hamilton du rock ! Aujourd’hui, c’est difficile de montrer des images de ce type. On a eu par exemple des autocollants “halte à la pornographie” sur des affiches de Paradize ! On m’a aussi demandé, sur June, si je ne faisais pas l’apologie du suicide. Il y a eu l’affaire Michael Jackson, il y a une sensibilité là-dessus. C’est le retour à un ordre moral rigoriste. Des photographes ou des écrivains ont été censurés parce qu’ils abordaient ces territoires, dans une démarche totalement artistique. Ca peut me tomber dessus du jour au lendemain, mais je ne me mets pas d’auto censure. On voit bien, avec ces histoires de caricatures, que si la religion essaye de gérer le monde, ça ne va pas. Or le rock peut encore être précurseur d’une agit-prop salutaire. Il est vrai que tout ce qui touche à l’enfance est banni, et maintenant que je suis père, je comprends mieux que l’on puisse s’affoler avec tout ce qu’on voit dans les médias. Je suis en train d’écrire un livre, sur un sujet un peu… chaud, et l’éditeur me met en garde sur le “dernier tabou”. On est parti dans une sorte d’hystérie collective. Or tout ça, c’est un peu mon univers. Pas la pédophilie bien sûr, mais notre monde déglingué, sous le regard des enfants. Heureusement, l’art offrira toujours des moyens de détourner ces situations. Balthus n’a jamais été inquiété, pourtant sa peinture était explicite. Et Lewis Carroll est en vente libre.

Indochine Alice & June (Jive/Sony) 2005
En tournée à partir du 6 mars 2006