Le Bazar savant des Lo’Jo

A la fois nourrie par ses vagabondages autour du globe et enracinée dans sa campagne française, l’inclassable formation communautaire angevine Lo’Jo privilégie aujourd’hui le public français avec une longue série de concerts pour présenter son Bazar savant. Rencontre avec Denis Péan, auteur et leader du groupe.

Nouveau souk de la tribu de Denis Péan

A la fois nourrie par ses vagabondages autour du globe et enracinée dans sa campagne française, l’inclassable formation communautaire angevine Lo’Jo privilégie aujourd’hui le public français avec une longue série de concerts pour présenter son Bazar savant. Rencontre avec Denis Péan, auteur et leader du groupe.

RFI Musique : Vos intitulés d'albums sont souvent insolites, qu'est-ce qui a dicté le choix de ce nouveau titre, Bazar savant ?
Denis Péan :
J'ai extrait ce titre de la chanson C'est la vie dans laquelle il y a les mots "bazar savant". Je décris la vie de cette façon, comme une boutique hétéroclite faite de parfums et de trésors insolites. J'ai trouvé que c'était la meilleure appellation pour cet enregistrement qui est un grand fourbi d'histoires, un grand barda de nos histoires...

Ce disque est le fruit d'un long voyage, de Saint-Pétersbourg à Tombouctou en passant entre autres par San Francisco. Il y a des ambiances très différentes, des couleurs tantôt bariolées, tantôt unies. Comment avez-vous écrit cet album ?
On picore des sons tels des oiseaux migrateurs qui reviennent de voyage. A droite ou à gauche, notre communauté trouve sur les routes une matière à son goût et la transforme en musique et en poésie. On raconte ce que l'on a vu, en essayant de traduire la vision de chacun. Car nous ne vivons pas forcément les mêmes choses, au jour le jour, dans nos escapades collectives.

Votre écriture très imagée a toujours un côté vécu, proche des gens. N'êtes-vous pas finalement une sorte de poète-sociologue ou de griot blanc ?
Il y a une quinzaine de personnes créditées sur cet album, mais j'aurais pu en mettre mille. Dans mes textes, j'essaye de traduire les mots d'une multitude d'humains. Souvent des gens simples rencontrés en chemin, que j'appelle les philosophes du quotidien qui offrent des prouesses verbales de la dernière heure. Je collecte tout cela en racontant l'histoire des autres, dans le but de leur offrir une tribune. Avec Lo'Jo, on dresse des hasards, des dompteurs de circonstance. Rien ne nous appartient vraiment mais nous agençons ces idées à notre manière et avec cette faculté que notre groupe a maintenant de travailler ensemble. En ce qui concerne C'est la vie ou la chanson A côté du paradis, j'ai commencé à les écrire en 2003, quand j'étais dans le désert avec mes compagnons. Je me souviens de Mina, la chanteuse de Tinariwen, qui passait en riant, du son des guitares de la pièce à côté, et des subtiles parfums qui s'évaporaient de la cuisine. Ce genre d'environnement m'inspire.

Un certain nombres de titres comme Bonjour ignorance ont plus de groove que vos précédentes compositions, avec des accents néo-pop ou éléctro. Pourquoi ce choix ?
J'aime toute les musiques. Je serais né deux mille ans plutôt dans une contrée ou il n'y aurait que des flûtes en os, j'aurais fait Lo'Jo. Si nous étions en 4025 avec l'énergie qui vient de Saturne, je ferais un groupe qui s'appellerait Lo'Jo. J'utilise les sons de mon époque parce que je vis au XXIe siècle et je ne peux pas y échapper. Je suis curieux de tous les univers sonores que comptent la planète. J'ai côtoyé les ambiances des grandes mégapoles, les rumeurs de la rue ainsi que les bruissements des villes, des campagnes et du Sahara. C'est cela notre composante.

Quelles sont les images ou les rencontres qui vous ont le plus marqué lors de vos derniers périples ?
Un de mes meilleurs souvenirs musicaux, parce que c'est la matière musicale qui m'éveille, c'est à Harlem, dans un club de jazz. Moi, je redoute les personnes civilisées, elles me font très peur ! Je me sens bien avec des gens simples proches de la nature, liés aux anciennes choses de la vie ou qui ont des pratiques rituelles. En un mot, je déteste le conformisme et les choses aseptisées.

Sur ce Bazar savant, vous avez convié entre autres Mina Wallet Oumar, la chanteuse du groupe saharien Tinariwen, ou encore Medhi Haddab, le joueur de oud d'Ekova et de DuOud. Leur présence est-elle une façon d'agrandir le cercle Lo'Jo ?
On a envie de mettre beaucoup de timbres dans nos créations, mais on ne sait pas tout faire. Notre formation dessine les grandes lignes, donne un esprit et un souffle, mais a besoin de musiciens qui savent jouer exactement ce que l'on recherche. Ces artistes invités nous apporte à la fois la précision et l'énergie du son. Ils font désormais partis de notre histoire. Et puis Lo'Jo est une famille partageuse qui n'est pas limitée, elle ne demande qu'à s'agrandir.

Votre tribu réside à Mûrs-Erigné, une petite bourgade proche d'Angers. Vivre à la campagne, est-ce une manière de vous ressourcer une fois que vous rentrez de vos aventures ?
Je connais des gens qui vivent l'exil volontaire ou forcé. Personnellement, je trouve que c'est rassurant d'être de quelque part. Mûrs-Erigné n'est pas mieux qu'ailleurs, mais on s'y sent bien parce que c'est chez nous, et on y trouve le repos. Cette ancienne ferme est avant tout un lieu de vie et de passage pour la famille et les amis musiciens qui ont fait Lo'Jo. Ces proches nous ont toujours encouragés, même dans les moments difficiles. On s'implique dans la vie de la commune en participant à la fête rurale annuelle. Nous avons également organisé des ateliers avec les enfants des écoles et travaillé dans un centre pour jeunes inadaptés sociaux. Tout ce travail nous permet d'être directement en contact avec nos concitoyens dans un esprit d'apprentissage et d'éducation. Nous ne sommes pas uniquement des artistes qui nous produisons sur scène, nous voulons aussi transmettre au quotidien certaines valeurs qui nous animent.

Lo’Jo Bazar savant (Emma Productions/Universal) 2006

En tournée à partir du 24 février 2006. concert à Paris, à La Cigale, le 18 mai 2006.