Lola Lafon
Elle s'est d'abord fait connaître par un roman. Aujourd'hui, Lola Lafon se laisse découvrir en musique sur Grandir à l’envers de rien, un premier album aux couleurs balkaniques sur lequel la chanteuse reste fidèle à l'esprit et au ton de l'écrivain.
Chanson adulte
Elle s'est d'abord fait connaître par un roman. Aujourd'hui, Lola Lafon se laisse découvrir en musique sur Grandir à l’envers de rien, un premier album aux couleurs balkaniques sur lequel la chanteuse reste fidèle à l'esprit et au ton de l'écrivain.
Lola Lafon chante des chansons dites “à texte”, mais ne se sent pas pour autant proche de la nouvelle chanson française qui lui est contemporaine. “J’ai l’impression qu’on ne vit pas dans le même monde. Il y a quand même des rafles de sans-papiers tous les jours ! Dans 20 ans, quand on réécoutera Vincent Delerm, on se dira : “c’était ça, les trentenaires, en France, en 2006 ?” Et bien non !”
La jeune femme a d’autres choses à raconter que la vie quotidienne des artistes issus de la moyenne bourgeoisie. Ses parents étaient profs, certes, mais communistes, et à ce titre coopérants de l’autre côté du rideau de fer. Elle a passé les premières années de sa vie en Bulgarie, puis les suivantes en Roumanie. “J’étais à l’école, je chantais des chansons à la gloire de Ceausescu. Ses grands portraits dans les rues, la chaîne de télé unique à sa gloire, ça me paraissait normal. C’est la France qui m’a paru bizarre quand je suis arrivée à 13 ans et demi. Ça a été brutal. L’abondance dans les magasins… Ma mère, ça la rendait malade, elle ne comprenait pas pourquoi il fallait quinze marques de yaourts !”
Après ce choc culturel, Lola Lafon aurait pu se vautrer dans la société d’abondance occidentale, mais quand on a écouté là-bas les disques de Dylan ou Patti Smith, puis découvert les Clash, on ne peut que garder une certaine fibre combative, qui se retrouve aujourd’hui dans les chansons virulentes de ce premier album. “Une chanson n’est pas faite pour faire passer un message, mais si elle peut être une étincelle, un truc qui reste en tête et aide à traverser un moment, à aller plus dans un sens, je trouve ça pas mal. J’écris des chansons sur ce qui m’intéresse…” Ce qui l'intéresse, c’est ce monde qu’elle n’envisage pas d’habiter autrement qu’en combattante.
Du folk rock mutant
En 2003, elle avait fait une entrée fracassante en littérature avec Une fièvre impossible à négocier. Ce premier roman narrait le quotidien d’une apprentie chanteuse, violée, qui erre de squat en squat, au sein d’un groupe d’activistes lié aux fameux Black Blocs, célèbres pour leurs actions lors des sommets du G8. Une fièvre… était surtout un joli morceau de littérature fiévreuse. “Peu importe que ce soit moi ou une autre. Je ne suis pas sûre que ce soit une valeur d’être vrai ou pas.”
Traduit dans plusieurs langues, le roman contenait déjà quelques textes des chansons qu’on retrouve aujourd’hui sur Grandir à l’envers de rien. Un album de folk rock mutant, où un sample de Sarkozy sur Complètement à l’ouest voisine avec une reprise désincarnée du Paint It Black des Stones, où l’on dénonce “L’euro, l’Otan, l’atome” et revisite des traditionnels balkaniques.“Toutes les mélodies qui me venaient avaient cette couleur des Balkans, parce que j’ai grandi en entendant ce genre d’harmonie qui me paraît naturel. Quand j’ai commencé à jouer avec des musiciens, ça tirait vers un côté rock, il y avait un truc qui n’allait pas. En montant Leva, je me suis dit que je voulais mélanger, faire des trucs roumains, bulgares, parce que depuis des années je connais ce genre de musique, et pour moi c’est clairement du blues. Ça ne m’apparaît pas comme de la musique du monde, appellation ignoble par ailleurs.”
Un pouvoir de questionnement
Dans le petit milieu des musiciens à double culture, elle a déniché, il y a cinq ans, des partenaires. “C’est un cercle assez fermé, qui joue du traditionnel dans des restaurants. Il y en avait heureusement qui aimaient aussi Radiohead, et qui ont bien voulu venir sur mon projet.” Elle chante en français, principalement, mais aussi en roumain, bulgare, macédonien et anglais. Ce qui donne à Leva un caractère franchement unique et frais dans la chanson française d’aujourd’hui, si souvent nombriliste et socialement autarcique.“Ma mère est biélorusse, mon père français. J’ai vécu dans pas mal de pays et je ne me sens pas plus française qu’autre chose. L’endroit d’où je viens, il est mort, c’est un monde qui n’existe plus. Donc je n’arrive pas à me sentir d’un endroit précis.”
Aujourd’hui, Lola Lafon se retrouve face au même dilemme qu’elle avait expérimenté, il y a deux ans, quand la force de son récit masquait un peu la qualité littéraire de son roman. Elle se refuse d’être une pasionaria, une égérie altermondialiste, toujours prête à aller chanter pour les sans-papiers, ou soutenir Cesare Battisti, ce qu’elle fait de toute façon. Mais derrière les mots qui cinglent et la nostalgie slave des musiques, il faut lui accorder que ses chansons et sa voix ont un pouvoir insidieux. Celui de vous devenir familier, rapidement, puis amical, sans pour autant que les mots ne perdent leur pouvoir de questionnement sur la responsabilité de chacun. De la chanson adulte, en quelque sorte. Il était temps.
Lola Lafon & Leva Grandir à l’envers de rien (Label Bleu) 2006