Le son tradi-moderne de Kinshasa
Après Konono n°1 sorti en 2005 et ses likembes amplifiés à l’huile de coude, Buzz’n’rumble from the urb’n’jungle, second volet de l'étonnante série Congotronics, allie images et musiques tradi-modernes enregistrées dans les faubourgs de Kinshasa.
Sortie du DVD Congotronics 2
Après Konono n°1 sorti en 2005 et ses likembes amplifiés à l’huile de coude, Buzz’n’rumble from the urb’n’jungle, second volet de l'étonnante série Congotronics, allie images et musiques tradi-modernes enregistrées dans les faubourgs de Kinshasa.
“Congotronics 2, c’est une compilation d’impressions et de rencontres, en live dans des bars, à la merci des coupures de courants et des caractères,” relate Vincent Kenis, dénicheur de talents pour le label Crammed Disc. La ligne directrice de cette série, et celle de l’ensemble de productions de Vincent Kenis, réside dans son aversion pour les musiques complaisantes. “La world music aujourd’hui est rarement radicale, ça ne remet rien en question, ça a un côté ronronnant avec souvent des sous-entendus exotiques et rassurants qui ne bousculent pas les idées reçues. La musique tradi-moderne est fascinante, il faut rester au plus proche de ce qu’elle est. On mâche tellement la besogne aux gens qu’ils se sentent peut-être soulagés et rafraîchis d’entendre une musique qui ne leur est pas vraiment destinée.”
Les oreilles aiguisées de Vincent dénichent ces trésors congolais depuis plus de trente ans. “Fin 70, Bernard Treton programmait sur la radio France Culture des musiques enregistrées au Zaïre dans le cadre d’une coopération avec la radio nationale. A cette période, Mobutu encourageait la production de musique traditionnelle dans le cadre d’une campagne idéologique : Le recours à l’authenticité”, se souvient-t-il.
Phénomènes d'intermodulation
Pour donner corps à ce slogan, de petits orchestres se produisaient dans la rue avec la consigne d’être moderne et donc de s’amplifier. Les haut-parleurs décrochés au moment de la l'indépendance avaient rapidement été recyclés en amplis de fortune pour couvrir les bruits de la ville. Amplifiés par le truchement de mégaphones miteux, les orchestres tradi-modernes fleurissaient dès lors dans les faubourgs. La musique occidentale étant proscrite au nom de l’authenticité, aucune influence extérieure ne vint altérer la composition des orchestres foncièrement inscrits dans la tradition. Cette volonté démagogique imposée par Mobutu eut finalement des conséquences positives.
La dimension mystique du tradi-moderne s’amplifia à mesure que les mégaphones crachaient. “C’est une musique qui est là pour relier la communauté à ceux qui l'ont précédée. Les ancêtres sont comme les vivants, quand il y a trop de bruit, ils n’entendent pas ce qu’on leur dit ! Et puis, il y a certainement des phénomènes psychoacoustiques dans l’amplification du son qui peuvent sembler parfois surnaturels, aussi bien dans leur musique que chez nous avec le rock ou l’électro.” D’où l’assimilation aux sonorités proches de l’esthétique rock, de la samba ou de la techno que l’on reconnaît volontiers à Konono n°1. “Ce sont des phénomènes d’intermodulation qui nous font parfois entendre des sons qui ne sont pas joués.”
Favoriser les rencontres entre orchestres
Équipé d’un matériel réduit au minimum, Vincent Kenis s’est attelé à restituer, sur ce DVD de 41 minutes, non seulement le son tel qu’il résonne à Kinshasa mais aussi les conditions difficilement imaginables dans lesquelles il est mis en scène. “Il y a des instruments que tu ne peux pas comprendre sans voir l’orchestre jouer. Les mouvements de danse démontrent aussi que cette musique n’est pas aussi répétitive qu’on veut bien le croire. C’est de l’improvisation collective, il faut voir pour comprendre comment interagissent les instruments.” L’énergie du désordre maîtrisé s’en dégage à chaque image. Du grabuge, comme le laisse deviner le titre de cette compilation Rumble for the urb’n’ jungle, baptisée ainsi en référence au légendaire combat de boxe Rumble in the Jungle entre Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa en 1974, en pleine expansion du tradi-moderne.
“La plupart de ces orchestres tradi-modernes, issus de l’époque dorée à Kinshasa, avaient pratiquement tous disparu et se sont reformés récemment. Les seuls qui ont survécu sont ceux qui viennent du Kasaï. Les vendeurs de diamant transitaient à Kinshasa et faisaient venir les orchestres de leur région pour y célébrer les ventes.” Au final, trois orchestres du Kasaï, deux du Bacongo et un de la région du Lac Mai-Ndombe, illustrent la richesse et la diversité de cet authentique courant congolais encore méconnu. L’occasion de créer aussi des échanges entre des orchestres de la même région : “Avec Kasaï Allstars, et malgré les clivages qui opposent le Kasaï oriental et occidental, on a réussi à créer une rencontre entre les divers styles de musique kasaienne représentées dans un même orchestre.” Le résultat sera donné à entendre sur le prochain volume de la série Congotronics, à paraître fin 2006.
Congotronics 2 Buzz’n’rumble from the urb’n’jungle (Crammed/Wagram) 2006