Ghislain Poirier, Hacker du hip hop
Plus fort que Lucky Luke ! Le Québécois Ghislain Poirier dégaine plus vite que son ombre : cinq albums en cinq ans. A chaque fois une rencontre réussie entre hip hop expérimental, humour et dub électronique. Rencontre avec ce producteur iconoclaste avant une probable programmation cet été dans les grands festivals.
Le DJ expert du rebond
Plus fort que Lucky Luke ! Le Québécois Ghislain Poirier dégaine plus vite que son ombre : cinq albums en cinq ans. A chaque fois une rencontre réussie entre hip hop expérimental, humour et dub électronique. Rencontre avec ce producteur iconoclaste avant une probable programmation cet été dans les grands festivals.
Huit heures de vol, six heures de décalage horaire, un show à Amsterdam, un deuxième dans la foulée en Belgique, Ghislain Poirier profite de trois jours de repos à Paris avant d’enchaîner sur deux autres prestations. Tournée européenne éclair pour ce DJ qui se définit lui-même comme "workaholic" (drogué au travail) : "En ce moment je m’attaque au Québec, aux Etats-Unis, à l’Angleterre et à la France en même temps et ça marche plutôt bien. Il aura suffi d’une prestation remarquée au Printemps de Bourges 2004 pour que le Québecois impose son style : expérimentation, gros son et décontraction. Foin de samples funk éculés, Ghislain pioche dans un vaste répertoire électro, dub voire afrobeat : "J’utilise très peu les sons des machines tels quels, je préfère des échantillons sonores qui ont déjà une vie où il y a de légers parasites qui traînent. J’ai tendance à ne pas nettoyer. J’aime ça quand c’est nature".
Breakupdown, son dernier album, uniquement disponible en import en France, décline toutes les facettes du personnage : abstract hip hop dans la lignée de Prefuse 73 ou Dabrye, ambiances sombres avec le rapper Bean (ex-Anti Pop Consortium) ou encore moments de franches rigolades. Une musique affranchie des codes de la rue qui hérisse le poil des puristes : "Le rap, le rock, le funk ou le folk, ce sont toutes des musiques qui absorbent d’autres influences. Et si en tant que musicien tu ne fais qu’écouter qu’un seul courant musical, tu tombes dans un piège. Tu fais juste de l’autoréférence, un genre d’inceste musical. A un moment donné, ça tourne en rond parce que tu n’as plus de stimulation extérieure. Africa Bambaata faisait de l’électro et du hip hop il y a 25 ans de cela. Pour moi, ce sont deux frères ennemis. C’est fait avec les mêmes machines. C’est juste à la fin que ça diverge dans les intentions. Moi je ne trouve pas ça vraiment grave que des gens reprochent de ne pas être pur, les plus beaux chiens c’est ceux qui sont mixés. Ce sont les bâtards … les bâtards sensibles comme TTC."
Bouge ton derrière !
Ghislain Poirier n’a pas peur de la confrontation et n’aime rien tant que convaincre les septiques, amener l’auditeur vers de nouveaux univers rythmiques. C’est même le leitmotiv de ses soirées Bounce le gros. "Bounce" de l’anglais rebondir, "le gros" c’est l’argot québécois pour popotin, en bon français ça donne "bouge ton derrière" ! "L’objectif c’est de jouer, partager de la musique que les gens ne connaissent pas forcément, de les faire danser avec beaucoup de basses. ça se passe au Zoobizarre, un tout petit endroit très convivial où le public est à moitié francophone et anglophone, et c’est plutôt rare à Montréal." DJ sans peur, Ghislain vient de sortir Bounce le remix, une compilation de remix non-autorisés reprenant notamment Mary J Blige ou Busta Rhymes : "Ça leur fait de la pub, s’ils veulent se plaindre qu’ils viennent me voir ! Qu’est-ce que je risque ? Qu’ils aiment le morceau et qu’ils l’intègrent sur un maxi. C’est comme pour les hackers, quand ils s’attaquent à des grosses banques et qu’ils se font attraper, on leur propose soit la prison, soit deux millions de dollars pour travailler à renforcer la sécurité des réseaux !"
Télécharger n’est pas pécher
A rebrousse poil de l’industrie musicale, le DJ se moque même d’un message de prévention contre le téléchargement pirate dans un intermède de Breakupdown : "Moi je télécharge à la tonne. Ça fait que j’achète encore plus de musique, je découvre des choses. Les majors veulent avoir le monopole dans les magasins t au niveau du paysage audiovisuel. Si tu as des goûts musicaux qui ne correspondent pas au dernier hit pop, il faut vraiment aller dénicher les perles musicales ignorées par les gros réseaux. Le téléchargement permet cette promotion. Le gagne pain des artistes, c’est de faire des concerts."
D’ailleurs peu satisfait du travail de son actuel label, Ghislain a décidé de s’autoproduire : "Je crois que maintenant je peux me le permettre. Il n’y a jamais de label idéal. Tu te rends compte à un certain moment que si tu fais les choses par toi-même, c’est sûr, tu travailles plus mais c’est aussi plus gratifiant du point de vue créatif. Tu gagnes plus d’argent en vendant moins de disques, c’est le monde à l’envers. En avril, je vais sortir un premier maxi de 30 minutes sur mon label Rebondir, ce sera une introduction à ce que je vais proposer sur mon prochain album". Des productions qui cette fois, devraient être disponibles en France !
Ghislain Poirier Breakupdown (Chocolate Industries) 2005