Les fictions de Jane Birkin

Après bientôt quarante ans en France et en français, Jane Birkin sort un disque principalement en anglais, Fictions, pour lequel elle a fait appel à de jeunes compositeurs des deux côtés de la Manche – côté français, Cali, Dominique A et Arthur H et côté anglais, Beth Gibbons ou Rufus Wainwright.

En anglais dans le texte

Après bientôt quarante ans en France et en français, Jane Birkin sort un disque principalement en anglais, Fictions, pour lequel elle a fait appel à de jeunes compositeurs des deux côtés de la Manche – côté français, Cali, Dominique A et Arthur H et côté anglais, Beth Gibbons ou Rufus Wainwright.

Cet après-midi là, quelques jours avant la sortie de Fictions, son nouvel album, Jane Birkin reçoit dans un bel hôtel de Saint-Germain-des-Prés. Elle revient de Cologne, se prépare à partir en Suisse, en Italie, en Espagne, partout où la longue tournée d’Arabesque, son spectacle des chansons de Gainsbourg réarrangées à l’orientale, lui a donné une autre dimension que "la jeune Anglaise qui a fait Je t’aime moi non plus dans les années 60". "Le disque va sortir partout, pour une fois", se réjouit-elle.

Pendant trois ans, elle a tourné sur tous les continents, achevant le cycle d’Arabesque à Saint-Pétersbourg, dans cette Russie d’où étaient partis les Ginzburg. "C’était gai de faire tout ça." Un travail de piété et de plaisir, de partage et d’émotion dont elle garde mille souvenirs radieux. "A Châteauroux, où est né Depardieu, un des endroits les plus touchants, peut-être parce qu’il ne s’y passe pas grand-chose artistiquement, il y avait un homme dont je n’oublierai jamais le visage. Il a chassé une larme, juste au moment où je disais : Oh je voudrais tant que tu te souviennes/Cette chanson était la tienne. Peut-être était-ce sa préférée à lui, justement."

Jane en anglais

Hélas, elle ne devrait pas paraître très prochainement sur une scène pour chanter : dans quelques semaines, elle commence le tournage de Boxes, son deuxième long-métrage comme réalisatrice, avant de revenir au théâtre, cet automne, sur une grande scène parisienne.

Pourtant, il y aurait quelque délectation à l’entendre en concert en anglais, comme ici avec Alice de Tom Waits, Harvest Moon de Neil Young, Mother Stands for Comfort de Kate Bush ou des chansons originales que lui ont donné Neil Hannon de Divine Comedy, Romeo Stodart des Magic Numbers, Beth Gibbons, Rufus Wainwright, Gonzales (également coréalisateur de l’album avec Renaud Letang)… En Grande-Bretagne, son premier emploi de comédienne avait été dans une comédie musicale mais "je sais que si j’y étais restée je n’aurais pas chanté des comédies musicales, parce que je n’avais pas une voix assez puissante. Il n’y avait que Serge qui comprenait qu’avec une voix fragile j’arrivais à chanter – et encore, ça a longtemps été en studio seulement. Heureusement, on avait les Carpentier, on faisait des comédies musicales d’une autre manière." Car c’est pour la télévision (devant les caméras de Maritie et Gilbert Carpentier, mais aussi de Jean-Christophe Averty) que Gainsbourg put mettre en scène avec Birkin des disques entiers.

Avec Fictions, elle a aussi fait appel à la jeune garde de la chanson française contemporaine, Cali, Arthur H et Dominique A. Du premier, elle aime "une écriture tellement sciante. Il utilise des choses quotidiennes de manière giflante. A la fin de la chanson, quand il dit : Et surtout ne sois pas heureuse/Non surtout pas sans moi/Puisse-tu devenir pute mal mariée/très seule et tout en bas. Quand j’ai entendu ça la première fois, je me suis dit : ah, cette pensée médiocre, je la connais bien." Car, comme avec Mickey 3D sur l’album de duos Rendez-vous, en 2004, elle aime bien que ses auteurs dérangent un peu l’image gentille et douce de Jane Birkin.

De belles rencontres

Elle aime la violence sourde, oblique, subtile d'Où est la ville, que lui a donné Dominique A et elle ne tarit pas d’éloges sur L’Horizon, le nouvel album de ce dernier. "C’est un très grand écrivain. Et il ne se paye pas de mine, il ne joue pas l’artiste torturé, tout ça. Je suis encore plus fière qu’il m’ait donné sa chanson : ce serait aussi un tube s’il la chantait. Je trouve très généreux, qu’un artiste donne un morceau qu’il aurait pu chanter lui-même."

Après celles de Rendez-vous, pour le disque puis pour le DVD, les sessions de Fictions lui ont fait rencontrer de jeunes artistes et de jeunes œuvres. "J’ai été touchée qu’ils me donnent leurs chansons, eux qui pourraient être mes enfants, peut-être même mes petits-enfants. J’ai été touchée par eux comme par Anthony & the Johnsons, comme par Nosfell – de nouvelles personnes, de nouvelles livraisons. "

Elle aime être à la découverte. "Je n’arrête pas, en Angleterre, de leur dire qu’ils sont en train de rater des gens, de leur dire : demandez à Bashung de venir, demandez à Souchon, à Miossec, et puis en Belgique à Arno, et vous serez sidérés. Ce n’est pas des gens dans des groupes, dans des modes, ce sont des individus uniques. C’est dommage, ces frontières. "

Jane Birkin Fictions (Capitol-EMI) 2006