Regard de griot

Récemment honoré par le Grammy du meilleur album world pour son album In the heart of the Moon en duo avec le regretté Ali Farka Touré, Toumani Diabate a pris le temps de discuter avec nous, un samedi après midi de son nouvel album avec le Symmetric Orchestra, Boulevard de l’Indépendance, de la naissance de la kora, de la grandeur passée de l’empire mandingue et de son pays, le Mali.

Toumani Diabaté & le Symmetric Orchestra

Récemment honoré par le Grammy du meilleur album world pour son album In the heart of the Moon en duo avec le regretté Ali Farka Touré, Toumani Diabate a pris le temps de discuter avec nous, un samedi après midi de son nouvel album avec le Symmetric Orchestra, Boulevard de l’Indépendance, de la naissance de la kora, de la grandeur passée de l’empire mandingue et de son pays, le Mali.

RFI Musique : Le Symmetric Orchestra dont l’objectif est de faire revivre l’empire Mandingue musicalement, est principalement un orchestre live…
Toumani Diabaté :
Oui, j’ai choisi des musiciens de tous les pays de l’empire Mandingue et de toutes les générations. Nous jouons tous les vendredis soir à Bamako au club le Hogon, que j’ai créé il y a une dizaine d’années. C’est une jam session, c’est la fête au village. Ça casse la baraque, mais en fait, ce sont des séances de travail pour moi. Des séances de répétitions que j’ai organisées, jouées devant le public. Donc, le Symmétric a eu la possibilité de juger certains morceaux du répertoire, jouer, jouer plusieurs fois devant un public très diversifié. Dès que nous avons eu des positive vibrations sur certains titres, nous avons alors décidé d’enregistrer carrément. On a loué la grande salle de conférence de l’hôtel Mandé à Bamako pour faire un studio. Tous les morceaux ont été enregistrés en live, comme si on était en concert. Il n’y a pas eu d’overdose, on a tout enregistré en une fois pour garder cette ambiance, pour garder cette chaleur africaine. Et voilà, ça a marché tout d’un coup. C’est ce qu’on ressent dans le disque.

La seconde caractéristique de la musique du Symmetric Orchestra est qu’elle est entièrement structurée autour de la kora …
J’ai tout composé à la kora, puis dispatché aux musiciens par la suite. Vous pouvez retrouver certaines chansons d’anciens albums. Le premier titre de l’album Djélika s’appelle dans cet album YaFama. La kora est une instrument complet qui peut faire à la fois la basse, l’accompagnement et le solo. Nous avons pris la ligne de base jouée par une kora que nous avons transposé sur une basse électrique.L’accompagnement a été repris par une guitare rythmique et les improvisations ont été partagées entre kora, balafon, les instruments traditionnels et la guitare moderne. S’il y a un instrument qui représente l’identité de la culture mandingue aujourd’hui dans le monde, c’est la kora.

Vous savez, la kora est tout pour moi, c’est l’histoire de ma famille, je suis de la 71e génération de griot et de joueur de kora. La 72e génération se prépare déjà, mon fils a 14 ans et commence aussi à jouer. C’est quand même grandiose, 71 générations de père en fils. Une très grande histoire et une très grande tradition. Peu de familles dans le monde ont ça… La kora est le seul instrument qui te fait face lorsque tu joues. C’est comme un homme et sa femme.

Le Boulevard de l’Indépendance à Bamako est celui d'où partent toutes les routes pour les pays environnants, le Burkina Faso, le Sénégal, le Ghana, le Niger…Est ce que Bamako est la toujours la capitale du pays mandingue ?
Bien sûr ! Il y a 700 ans, il y avait l’empire du Mali, le grand empire mandingue et le roi vivait au Mali. C’est à cause de la colonisation que l’empire mandingue a été divisé. Le Sénégal, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée-Conakry, une partie du Nigéria, du Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire étaient des provinces de l’empire mandingue et étaient dirigées par des envoyés du roi, qui vivait au Mali. Le Mali est un carrefour incontournable, c’est le cœur de la culture d’Afrique de l’Ouest. Les exemples frappants sont là. La musique malienne est très diversifiée, du nord au sud, de l’est à l’ouest… Salif Keita,  Ali Farka Touré, paix à son âme, …Rokia Traoré, Oumou Sangaré etc. Chacun occupe une place très importante. Et les musiciens des pays environnants viennent tous au Mali pour se ressourcer.

La culture est-elle le seul pan de l’empire Mandingue qui peut lui permettre d’exister en 2006 ?
Au moment où l’Afrique souffre de beaucoup de problèmes politiques etc. nous avons jugé nécessaire de pouvoir mettre en place un orchestre fédérateur. La musique du Symmétric parle de la paix, parle de l’amour, parle des encouragements. Moi en tant que griot, je suis un meneur de paix, et la majeure partie, disons 80% des musiciens du Symmétric sont des griots aussi donc nous sommes tous des meneurs de paix. Ma musique est un moyen très efficace pour faire de la communication. Il y a un proverbe chez nous en mandingue qui dit : la musique en elle-même n’est pas bonne, mais c’est le sens des mots qui est parfait. Il y a tout dedans. Le sentiment que peut avoir un président en écoutant une musique qu’il aime, sera le même sentiment qu’un pauvre type. La musique rapproche. Je pense que le Symmétric a comme objectif d'amener la paix davantage encore, d’unir la musique mandingue. Il faut qu’on arrête de dire : ça c’est la musique sénégalaise, ça c’est la musique ivoirienne, ça c’est le coupé décalé, ça c’est de la musique malienne… tout appartient à la grande famille de l’empire Mandingue.

Toumani Diabaté's Simmetric Orchestra Boulevard de l’Indépendance (World Circuit Records) 2006
En concert en Europe à partir du 21 avril et à Paris le 11 mai au Cabaret Sauvage.