Pierre Akendengué à Gorée
Le dernier album de Pierre Akendengué s’intitule Gorée, en hommage à l’île sénégalaise tristement célèbre pour sa situation stratégique dans le trafic d’esclaves. Un opus en forme de cri contre cette tragédie et tous les autres exils forcés.
18e album de l'artiste gabonais
Le dernier album de Pierre Akendengué s’intitule Gorée, en hommage à l’île sénégalaise tristement célèbre pour sa situation stratégique dans le trafic d’esclaves. Un opus en forme de cri contre cette tragédie et tous les autres exils forcés.
1997 : Pierre Akendengué se rend à Gorée pour la première (et unique) fois de sa vie. L’émotion qu’il ressent là-bas se situe au-dessus de tout ce qu’il pouvait imaginer. "A Gorée, j’ai entendu les cris et les pleurs, j’ai vu les larmes, j’ai eu peur, raconte le chanteur gabonais. J’ai imaginé ceux qui sont partis de là pour l’inconnu, vendus comme des meubles. Pour moi, Gorée est un symbole : il existe des dizaines de Gorée en Afrique." Suite à cette visite, il laisse libre cours à ses états d’âme et écrit le morceau intitulée (forcément) La Chanson de Gorée dans laquelle il rappelle l’épopée de milliers d’esclaves : "Encore des coups de canon/"Sous-race" leva l’ancre/"Sous-race", funeste bateau/Qui emporta/Sa cargaison enchaînée/Vers des terres inconnues/En passant par Gorée/Salut à toi Ô Diaspora, salut à toi Mère en larme".
Il l’interprète l’année suivante lors d’un concert donné au centre culturel français de Libreville. Deux de ses amis, Michel Essonghe et Richard Onouviet, lui conseillent alors de consacrer un album entier à Gorée et à ce qu’elle représente. Quelques années plus tard, voilà qui est fait. Le nouvel album de Pierre Akendengué parle directement de l’histoire de Gorée dans quatre chansons. Dans les autres morceaux, le chanteur délaisse le thème de l’esclavage pour élargir le débat et aborder d’autres situations inquiétantes qui nient l’humanité de certains peuples.
Exil forcé
La chanson De la forêt, par exemple, décrit l’exil forcé des Pygmées au Gabon. Associé à la création de parcs nationaux, Pierre Akendengué découvre la situation des Pygmées, obligés de quitter la forêt pour aller vivre dans la savane ou la plaine. "Les Pygmées connaissent la forêt par coeur. Elle est leur vie, leur âme, leur conscience et l’ensemble de leurs savoirs. Les en faire sortir me rappelle le sort de ces milliers d’Africains sur l’île de Gorée. Même si l’échelle n’est pas du tout comparable."
Mais pourquoi aborder ce thème ardu de l’exil forcé dans un album ? Pour Pierre Akendengué, cela ne fait aucun doute : les artistes sont la voix des "sans paroles". Leur rôle est d’instaurer le dialogue et d’engager le débat. "Il ne faut pas oublier, ne pas nier certains faits, souligne-t-il. Comme en psychanalyse, il est indispensable de parler du mal pour en expulser la cause et apporter la paix intérieure." Un travail difficile à mener et qui pourtant aurait son utilité dans le monde actuel. "L’Afrique souffre encore aujourd’hui de ce crime contre l’Humanité et pourtant cette tragédie fait peu parler d’elle. La France, par exemple, vient tout juste de choisir un jour pour le souvenir de l’esclavage, le 10 mai. Les Juifs, eux, organisent eux-mêmes les commémorations de la seconde guerre mondiale et y invitent les descendants des responsables. En Afrique, nous attendons encore." Une nécessité chantée notamment dans la chanson intitulée Yemba Gorée : "Tu te souviens d’hier/Larmes et honte/ Chante, chante/Chanter, c’est le parler du cœur/Chanter, c’est une respiration."
La nécessité de lutter
Pour Pierre Akendengué, certes, cette prise de conscience doit passer par la musique mais l’enseignement y joue également un rôle primordial : l’histoire de cette époque doit être racontée en reconnaissant les torts de chaque côté, pour mieux expliquer la situation actuelle. Une étape indispensable pour repartir sur de bonnes bases et construire une humanité plus fraternelle. L’album montre d’ailleurs bien ce double sentiment : la douleur partagée avec ces hommes et ces femmes partis pour être exploités, d’une part, et la nécessité de lutter, d’autre part. "Même dans la servitude, il ne faut jamais capituler. Je voudrais inciter tous les hommes, notamment les jeunes, à se battre. L’essence de l’Homme réside dans la liberté. Les descendants des esclaves, aux Etats-Unis, en Haïti, ont montré que l’on pouvait améliorer les choses à force de lutter." Toujours dans le morceau Yemba Gorée, Pierre Akendengué persiste et signe : "Les enfants d’Afrique au-delà des mers, par-delà les océans/Se battent comme il faut se battre/C’est pourquoi aujourd’hui debout, fière, ton nom est un symbole". Douze chansons pour un album à la fois amer et optimiste.
Pierre Akendengué Gorée (Lusafrica/SonyBmg) 2006