Pierre Lapointe, chantre du spleen
C’est peu de dire que Pierre Lapointe, jeune chanteur québécois, est encensé outre-Atlantique. La coqueluche de la critique et du public de la Belle-Province présente son deuxième album, La Forêt des mal-aimés, sous la forme d’un spectacle mélancolique et sombre. Dans le cadre du festival Francofffonies, il joue pour la première fois à Paris, deux soirs d’affilée, au Café de la danse.
Superbes mélodies du malheur au Café de la Danse
C’est peu de dire que Pierre Lapointe, jeune chanteur québécois, est encensé outre-Atlantique. La coqueluche de la critique et du public de la Belle-Province présente son deuxième album, La Forêt des mal-aimés, sous la forme d’un spectacle mélancolique et sombre. Dans le cadre du festival Francofffonies, il joue pour la première fois à Paris, deux soirs d’affilée, au Café de la danse.
Il arrive en France précédé d’un nom familier, même si sa voix évoque moins Boby que Boris, celui du Déserteur et Je bois. Il arrive surtout en France précédé de ce que jamais les Québécois n’appelleraient un "buzz", mais d’un bon tombereau de louanges. Dès 2002, soit deux ans avant son premier album, ce grand Pierrot lunaire joufflu recevait le prix de l’"Artiste de la relève" - la relève étant ce qui est appelé en France la nouvelle chanson. Une fois le premier opus dans les bacs, le voici qui fait un hold-up sur les Félix (équivalent des Victoires de la musique), catégories meilleurs album pop, révélation, arrangements, réalisation (signée Jean Massicotte, l’homme de l’ombre de Jean Leloup), etc.
Un Disque d’or plus loin, le jeune homme natif du Lac Saint-Jean, grandi à Gatineau et vivant à Montréal, est même sacré Homme de l’année en 2005 par Le Devoir, quotidien de référence au Québec. Le journal écrit, à propos de son deuxième disque, La Forêt des mal-aimés, sorti en mars au Québec et qui arrivera en France en septembre : "C’est Sgt Pepper’s deux ans après Rubber Soul. C’est l’étrange et bel enfant de Thome Yorke et Barbara." Bigre !
Premier passage à Paris
Bref, lorsque Pierre Lapointe entre sur scène ce 24 avril au Café de la danse, on se dit qu’il va devoir faire très fort pour ne pas décevoir. Ça commence mal puisque le chanteur, si impatient de conquérir le public parisien pour sa première dans la capitale française, entame son concert avec un quart d’heure d’avance, dans le va-et-vient des spectateurs. Qu’à cela ne tienne, il a sur scène, comme ses quatre musiciens et nombre de ses compatriotes, un aplomb insolent.
Il s’est fait connaître par son sens du spectacle (notamment le premier, ironiquement mal-nommé Petites Chansons laides) et le prouve. Eclairages soignés et costumes doucement gothiques : redingote gris anthracite, bottines noires montantes pour tout le monde et tutu noir pour la jeune fille qui l’accompagne à l’accordéon, au piano et au glockenspiel. Le lieu même du Café de la danse, avec son grand mur rude en fond de scène, ne sied peut-être pas en revanche à son univers intimiste et ouaté.
Le répertoire de Pierre Lapointe est à double détente. Si ce dernier ne rechigne pas à dynamiser ses rares titres entraînants avec des rythmiques un peu bastringue (Columbarium, Nous n’irons plus aux bois) ou des mélodies de saloon (Hyacinthe, que des fans disséminés çà-et-là reprennent en chœur), il est surtout expert en mini-symphonies de la douleur. Comme si le chanteur M, à qui il ressemble étonnamment, reprenait les chansons les plus sombres de Nick Drake. Sans avoir compté, le mot "tristesse" est celui qui, du début à la fin du concert, revient le plus, comme un pacte passé avec une muse éplorée.
Une émotion musicale pure
Le miracle, c’est que Pierre Lapointe ne provoque ni ennui ni compassion, mais une émotion musicale pure. Qu’il chante debout au micro ou assis au piano, quelque part entre Jérémie Kisling et William Sheller, il bouleverse ses auditeurs avec la même fausse simplicité. En se livrant à une introspection systématique ("Au 27-100 rue des Partances / J’ai revu mes tristesses d’avant" sur 27-100 rue des partances), il chante la rupture ("Je suis fait de glace / Tout plaisir se passe" sur De glace) et la peine majuscule. Il s’en sort avec l’humour du désespoir : s’il vante "le plaisir de tomber toujours plus bas", c’est peut-être parce que "ce n’est sûrement pas de tomber qui nous empêchera de rêver" (2par2 rassemblés, effectué en rappel).
Dans la salle, l’émotion et la chair de poule sont palpables. Mais les spectateurs ne sont pas les seuls à être bouleversés. En réglant son sort à ses émois, Lapointe tire également un trait sur la chanson traditionnelle. Dans son abécédaire de la souffrance, le chanteur jette aux oubliettes la formule couplet/refrain avec une grande liberté. Ses morceaux brefs ne déballent jamais un refrain ad nauseam : parfois même, ils n’en ont pas. Comme nous l’expliquait sa compatriote Ariane Moffatt récemment, chanteuse qui elle aussi commence à faire parler d’elle en France après un beau succès au Québec, "Pierre comme la plupart des nouveaux artistes québécois n’est pas dans une formule pré-établie. Il chante et écrit à sa façon." La sienne, c’est de prendre suffisamment de hauteur par rapport à sa peine (fantasmée ?) pour réussir à la chanter. Et à nous enchanter.
Pierre Lapointe au Café de la Danse à Paris le 25 avril 2006
Son deuxième disque sortira en septembre en France (le premier n’a pas de sortie française prévue à ce jour) Audiogram / Wagram