Léo Ferré, bien aimé du Printemps
Soirée enthousiasmante en souvenir de Léo, dont les passages à Bourges en 1982 et 1985 comptent dans la mémoire du Printemps.
Ils ne sont pas Léo Ferré mais ils le chantent si bien
Soirée enthousiasmante en souvenir de Léo, dont les passages à Bourges en 1982 et 1985 comptent dans la mémoire du Printemps.
En 2003, la compilation Avec Léo avait présenté les hommages de ses cadets à Léo Ferré, dix ans après sa mort. On avait notamment souffert avec une reprise de Mon camarade par Dominique A, rabotée et chantée assez faux, comme avec une version sans ailes de Jolie môme par Jacques Higelin. La soirée d’hommage à Ferré du 30e Printemps de Bourges aura au moins permis à Dominique A d’être rédimé.
Et, au-delà, de faire entendre quelques chansons aimées de manière différente et magistrale. D’emblée, le benjamin de la soirée, le jeune BabX, pose un premier geste audacieux : interpréter Ton Style puis Les Etrangers, deux chansons du Ferré tardif au verbe et au climat exigeant. Après avoir un peu flageolé, il prend de l’assurance et fait entendre un lyrisme très personnel. Même constat chez Cali, qui lui succède : C’est extra dans une tonalité difficile, puis Ni Dieu ni maître pris sur un tempo rapide qui lui permet de soumettre à la chanson à ses propres manières vocales. Et enfin il parvient à être réellement bouleversant dans Richard, la première chanson de Ferré qu’il aima, quand il était adolescent. Avec châle de dentelles et musiciens de flamenco, Sapho fait passer Ferré par son propre alambic, par les décrets de son âme fantasque, par sa voix voilée de Shéhérazade rock – L’Affiche rouge transportée en Espagne, Avec le temps en français et en arabe dialectal.
Curiosité chez Dominique A, qui chante quatre titres dont Ferré n’a écrit que la musique : Tu n’en reviendras pas sur un poème de Louis Aragon, Mon camarade et Le Temps du tango de Jean-Roger Caussimon, La Vie d’artiste de Francis Claude. Il se confirme que Dominique A est un des meilleurs interprètes en France, donnant par exemple une interprétation du Temps du tango tout aussi modulée et comédienne que celle de Léo.
Jacques Higelin annonce d’emblée n’avoir guère appris ses chansons, fait entendre sa vision de Jolie Môme, fait parler son métier et laisse s’épanouir la grâce immense de Ma chambre sur le texte de René Baer (« je vais essayer de ne pas la démolir », avait-il prévenu) avant d’exhumer le très rare, très ludique et très pertinent C’est le printemps qu’il fait reprendre au public – « Y’a des voix d’or dans un seul cri/C’est la Sixtine qui sort la nuit/Y’a la nature qui s’tape un bol/A la santé du rossignol/C’est l’printemps ».
Enfin, Bernard Lavilliers paraît sur scène, annonçant le beau texte en prose Préface – « Je l’ai appris par cœur parce que je suis un professionnel », grand rire post-Higelin dans la salle –, dans lequel Ferré lance quelques slogans rageurs, en commençant par « la poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe ». Avec le soutien du percussionniste Dominique Mahut, il fait chanter au public une phrase du texte, « les plus beaux chants sont des chants de revendication ».
Et il enchaîne Je chante pour passer le temps d’Aragon en version brésilianisante, Comme à Ostende de Caussimon en splendeur fourbue, Monsieur Williams de Caussimon avec un engagement et un romanesque étourdissants, avant de conclure par Est-ce ainsi que les hommes vivent, quatrième Aragon de la soirée.
Le fil rouge entre tous ces artistes unis seulement par l’amour de Ferré ? L’habileté de cette soirée est qu’il n’est pas musical et qu’il est même totalement décalé : l’« aboyeur » Calixte de Nigremont incarne un présentateur en grand habit XVIIIe siècle avec dentelles et brocard, hilarant compromis entre le Grand Siècle et le Jacques Martin des dimanches.
