Ben Decca

Depuis quelques semaines, Makossa phœnix, le nouveau disque du chanteur de makossa Ben Decca, anime les nuits dans les discothèques de Douala, capitale économique du Cameroun. Retour sur le parcours du musicien.

Le makossa toujours là

Depuis quelques semaines, Makossa phœnix, le nouveau disque du chanteur de makossa Ben Decca, anime les nuits dans les discothèques de Douala, capitale économique du Cameroun. Retour sur le parcours du musicien.

"Qui ne connaît pas Ben Decca au Cameroun ? C'est de la belle chanson douala comme on n'en fait plus ! Il fait partie de ceux qui ont bercé mon enfance", s’exclame Michaël, un jeune Camerounais de 25 ans. Il peut se réjouir : depuis quelques semaines, un nouvel opus du chanteur anime les nuits chaudes des discothèques de Douala, la capitale économique du Cameroun. Avec Makossa phœnix, le grand frère de Grâce Decca signe ainsi son dix-neuvième album : en vingt-cinq ans de carrière, c’est plutôt un bon score.

"Je suis arrivé dans la musique comme un cheveu sur la soupe", souligne-t-il pourtant. Alors qu’il était en France pour y poursuivre ses études, un ami l’entend chanter. "Il a trouvé que c’était un bon morceau et a proposé de l’enregistrer" raconte Ben Decca. Mais l’intéressé refuse : son père serait furieux s’il apprenait qu’il fait de la musique. "On va trouver une solution. On ne mettra pas ta photo sur la pochette du disque", dit l’ami. Marché conclu. Le disque, un 33 tours, sort fin 1981. Mais la promesse n’est pas tenue… "La foudre est bien entendu tombée, mon père a très mal pris la chose. Avec le temps, finalement, il a accepté"

Vingt-cinq ans plus tard, Ben Decca fait partie des grandes voix du makossa, la musique de la région de Douala, située sur la côte. Pourtant il n’y vit plus depuis longtemps : revenu dans son pays dans les années 80, il l’a de nouveau quitté peu après. "Les problèmes politiques de l’époque et la conjoncture, mauvaise, m’ont contraint à retourner en région parisienne", explique-t-il. Depuis, il revient quand même chaque année passer plusieurs mois rue de la Joie, à Deido, le quartier familial auquel il reste très attaché. "C’est le dernier village de Douala. Alors que le reste de la ville est devenu cosmopolite, il a gardé un esprit de fraternité qui lui est propre. Nous y sommes pratiquement tous cousins, raconte-t-il. On a aussi longtemps dit que les habitants du quartier étaient des caïds. En fait, nous n’aimions pas qu’on nous marche sur les pieds. C’est seulement dans les années 80 que nous avons, par exemple, accepté la présence d’un commissariat !"

Musique de terroir

Les compositions du Doualais, dont la voix rappelle celle de Papa Wemba, n’ont cependant pas hérité de cet esprit frondeur. "Le makossa est une musique du terroir qui transmet l’amour", confie-t-il. Les textes de son nouvel album, écrits le plus souvent en douala avec un peu de français, y font ainsi quasiment tous référence : "Il n’y a pas d’amour parfait, son passé n’est pas simple, son présent est imparfait, son futur conditionnel", chante, par exemple, le musicien qui évoque également de son père disparu il y a trois ans. Il lui est tout de même arrivé d’aborder des sujets plus politiques. "J’ai fait un album engagé il y a huit ans. Mais il a été censuré, explique-t-il. J’y disais que si au lieu de raisonner en termes de nation, nous commencions à raisonner en termes ethniques, nous n’allions rien laisser dans ce pays. Aujourd’hui, je pense que les Camerounais ont atteint une capacité d’encaissement qui dépasse la norme. On a beau dénoncer, il n’y a pas de changement. Ca ne sert à rien de lutter…"

Le makossa, auquel il a rajouté une pointe de rumba, pourra tout de même toujours compter sur lui pour le défendre. Même si, avoue-t-il, il a depuis longtemps un faible pour le blues. Le morceau qui a donné son nom au dernier album (Etienne Mbappé et Guy Nsangue font partie de ceux qui y ont participé) est ainsi un hommage à "ceux qui ont fait du makossa ce qu’il est aujourd’hui" : parmi eux, Nelle Eyoum Emmanu, Eboa Lotin. "Le makossa a séduit et continuera de séduire. Certains l’ont dénaturé, mais les puristes sont encore là ; je ne suis pas trop inquiet" estime Ben Decca. Il a d'ailleurs pris l’habitude de dire que "le makossa, c’est comme le ndolé. Dire qu’il est fini c’est comme si on excluait le ndole des mets culturels du Cameroun ".

Quid du coupé-décalé ivoirien qu’on entend beaucoup au Cameroun depuis plusieurs mois ? Un simple phénomène de mode qui ne durera pas, répond-il. Il le reconnaît cependant : "La musique camerounaise ne se porte pas bien. En partie à cause de la piraterie : deux ou trois jours après sa sortie, mon album, par exemple, était déjà piraté. Et puis, les gens ici n’ont pas compris qu’il faut faire de l’exception culturelle comme ça se fait partout ailleurs. Le jour où on comprendra ça, beaucoup de choses vont changer"…