Michel Portal, 50 ans de scène

Un des jazzmen français les plus connus, Michel Portal, s'est offert ce 17 mai un jubilé pour ses 50 ans de carrière. Un événement qui restera dans les mémoires. A plus de 70 ans, le musicien a joué près de 3 heures et demi sur le plateau mythique de l'Olympia. Des pièces romantiques de Mendelssohn à des improvisations énergiques avec Jacky Terrasson et Laurent Garnier. Reportage.

Le clarinettiste caméléon à l’Oympia

Un des jazzmen français les plus connus, Michel Portal, s'est offert ce 17 mai un jubilé pour ses 50 ans de carrière. Un événement qui restera dans les mémoires. A plus de 70 ans, le musicien a joué près de 3 heures et demi sur le plateau mythique de l'Olympia. Des pièces romantiques de Mendelssohn à des improvisations énergiques avec Jacky Terrasson et Laurent Garnier. Reportage.

Pour tout jubilé, l’audience se divise entre joie anticipée et émotion à fleur de peau. Pour celui du divin Portal, l'Olympia plein à craquer se partage entre fans grisonnants de la première heure, jeunes pousses de conservatoire, admirateurs de ses musiques de films, journalistes, jazzmen admiratifs, mélomanes avertis, et d’une façon générale tous ceux qui ne s’intéressent ni au festival de Cannes ni à la finale de la Ligue des Champions ! Première impression : peu disert. Pour ne pas dire quasi-muet. Maestro Portal ne s’est jamais beaucoup exprimé avec le mot, il ne le fera pas ce soir, pas même pour ce jubilé. Le percussionniste exhaustif, et à longues tiffes, Mino Cinelu, aura beau dire entre deux grimaces et deux éclats de rire : "Quoi, un jubilé, c’est pour qu’on jubile, non ?!" : Michel Portal n’a envoyé que quelques sourires et de petits cris pulsatifs lors des improvisations de la fin du concert.  

Cette absence de remerciements, type soirée des Césars, n’aura toutefois pas vraiment manqué, au contraire. D’abord, parce que le cadre de la salle sentait déjà la canonisation et qu’il ne fallait pas en rajouter ; le concert avait par ailleurs été présenté par une jeune femme de la Sacem qui voulait rendre hommage "à tous les visages d’un musicien exceptionnel au sens propre, un personnage hors normes". Ensuite, parce que la générosité musicale du clarinettiste, capable de tresser jusqu’à plus de minuit (quand tant de ses cadets sont déjà couchés !) des colliers de notes venues de nulle part, impose le respect.

Michel Portal ayant toujours refusé de se spécialiser dans quelque genre que ce soit, il est à la fois l’auteur prolifique (et césarisé trois fois) de musiques de film, improvisateur sensuel et inspiré de jazz, musicien à la rigueur classique irréprochable sur les morceaux qui réclament son diplôme du Conservatoire de Paris. Comme il l’explique dans le programme de la soirée distribuée aux spectateurs, "En interprétant des chefs d’œuvres classiques et des créations de compositeurs contemporains, j’ai eu le bonheur de m’exprimer à travers eux. J’ai essayé de suivre une voie plus personnelle dans l’improvisation libre et le jazz sans a priori. Cette soirée à l’Olympia reflète mes choix."

Ses choix, c’est d’abord d’ouvrir le large rideau rouge de l’Olympia sur le Konzertstück de Mendelssohn pour deux clarinettes et piano. Les sons flûtés des clarinettes de Portal et son acolyte Paul Meyer plongent dans une fine mélancolie, dont ne nous sortent pas les différents mouvements du morceau suivant, le Trio en la mineur, Opus 114 de Brahms, pour clarinette, violoncelle (jeu tout en rondeur de Henri Demarquette) et piano (toujours la puissance rythmique et physique de Michel Dalberto). Peu à peu pourtant les notes de Brahms se font moins pesantes, plus aériennes. Les coups de tonnerre et les lamentations de la clarinette s’ouvrent vers une sérénité retrouvée, puis à une indicible joie. Brahms ou pas, c’est un jubilé, on jubile !

En échange de deux duos de Mozart initialement prévus, sont jouées deux pièces modernes, avec force stridences fantastiques, dont la pièce Contrastes de Béla Bartok pour violon, clarinette et piano, et où le duel entre Portal et Laurent Korcia à la corde tourne au combat des Titans. Tous deux ne jouent pas côte à côte mais de face, comme sur un ring, se répondent, entament une conversation merveilleuse avant de faire à nouveau monter la tension crescendo, jusqu’à un final époustouflant d’énergie.

C’est d’ailleurs ce morceau qui clôt la première partie et surtout ouvre une fenêtre vers la seconde, toute d’improvisations. D’abord avec le pianiste Jacky Terrasson, au jeu risqué comme si chaque note était la dernière. Puis avec le percussionniste Mino Cinelu aux instruments divers qui jonchent la scène et encadrent la batterie. A chaque fois une sorte de rituel s’opère : Portal écoute de longues minutes, s’inspire, pénètre l’univers créé par l’autre musicien (ambiance trottoir new-yorkais pour Terrasson, trekking en Centrafrique pour Cinelu), prend sa respiration et sort des notes de nulle part, parfois pures et à l’attaque précise, parfois comme nimbées de brume, soufflées de très loin, mais qui tout à coup imposent leur évidence.

Le final sera tout aussi impressionnant avec le mariage, en apparence seulement, de la carpe et du lapin, entre les beats caverneux et ritournelles house de Laurent Garnier, le piano remonté à bloc de Terrasson et les improvisations sensuelles de Portal. Qu’il joue de la clarinette classique ou basse (ses célèbres clarinettes Selmer) ou du bandonéon, Portal, avec sa houppette d’argent et son sourire chaleureux, ne fait décidément pas son âge. A croire que la musique préserve. Toutes les musiques, même dans le cas de ce Protée moderne. Rendez-vous pour les 100 ans ?