René Aubry
Poly-instrumentiste, compositeur pour la danse, le théâtre et le cinéma, René Aubry est un créateur d'univers sonores indéfinissables. Il est aussi l’un des musiciens français le plus écouté à l’étranger.
Un mélodiste libéré du temps
Poly-instrumentiste, compositeur pour la danse, le théâtre et le cinéma, René Aubry est un créateur d'univers sonores indéfinissables. Il est aussi l’un des musiciens français le plus écouté à l’étranger.
Auteur de convergences inclassables, malgré les références décelables dans sa musique, entre rock, minimal music, classique, et chanson en constant déplacement, René Aubry est surtout un inventeur de sphères acoustiques pour le mouvement des corps, pour le geste de la représentation, pour l'action transposée à l'image. Il est un (dé)passeur d'horizons artistiques. La dynamique que ses compositions (truffées d’ostinato et de cycles répétitifs) introduisent dans les chorégraphies de Carolyn Carlson, les pièces du metteur en scène Philippe Genty, ou les films du réalisateur Gilles de Maistre, souligne ce caractère.
Toutefois, ce qu’impressionne davantage, c'est la vie autonome de sa musique. L'audition de ses albums suggère des mondes imagés et déclenche un flux émotionnel qui ne doit rien aux merveilleuses marionnettes ni aux circonvolutions harmonieuses des danseurs.
Créée dans la solitude de son home studio, cette musique nouvelle est jouée en grand partie par Aubry lui-même : cordes (guitares, banjo, mandoline, bouzouki), percussions, harmonica, accordéon, voix et claviers, utilisant le procédé du sampling et les programmations. Sans étiquettes, elle circule étonnement libre face aux modes culturelles et aux caprices du marché. "Ce qui est naturel pour moi", souligne ce fils d’un ancien facteur des Vosges. "Je me suis installé à Paris à dix-neuf ans, avec mon frère Serge (musicien lui aussi), pour jouer un folk-rock complètement décalé. Je suis un autodidacte, qui n’ai jamais cherché à s’identifier avec un genre défini", insiste-t-il.
Curieux de toutes les musiques
Fervent admirateur de Jacques Higelin et d’Erik Satie, sa rencontre avec la chorégraphe Carolyn Carlson, vers la fin des années soixante-dix, a été pour lui "un événement déterminant. De simple régisseur de spectacle, je suis devenu son musicien attitré". Alors, entre Running on the Sounds of a Thousand Stones et Slow, Heavy and Blue (deux célèbres chorégraphies de Carolyn), Aubry découvre un monde sonore insoupçonné qui va de J.S. Bach à Edgar Varèse, en passant par John Cage, Steve Reich, Philip Glass, Barre Phillips et John Surman. "Ce contact avec les minimalistes, et les jazzmen revenants du free vers des zones plus mélodiques, a été pour moi une phase décisive en tant que compositeur". Plus tard, il se découvre une forte communauté musicale avec le compositeur grec Manos Hadjidakis, à qui il dédia son album Ne m’oublie pas (1995). Curieux de toutes les musiques, dans sa belle maison de l’Est- parisien, il écoute Madredeus, Massive Attack, Nick Drake ou le groupe brésilien Uakti.
Notes et intervalles, accords et silences, s’y mélangent de façon poétique, ouverts à la plus libre des interprétations. Ils sont loin de signifier au premier degré. Ils connotent, suscitent des sensations, déjouent la mémoire ou inspirent des images virtuelles. C'est la richesse plurielle de cette musique qui, jouant sur la plus franche tonalité, peut créer à partir de combinaisons très simples, des univers inédits et à la fois très familiers. On peut dire que c'est une musique qui met à l'écoute de soi-même. Une introspection sonore. Et une méditation dansante.
On réécoute Libre Parcours, depuis le formidable Blue Lady de Carlson (1988), puis Signes, la bande sonore du spectacle que la chorégraphe créa à l'Opéra Bastille (1997). Les images sont tellement fraîches et les tableaux si vifs, que même les visages, les gestes, les circonvolutions des danseuses nous apparaissent subitement proches. Encore une fois, "René prend le rôle de l'envoûteur et ajoute des raisons à l'existence", dirait à l’occasion l'écrivain Yves Simon.
Voyage imaginaire
Dans Plaisirs d’Amour, la musique d’Aubry, belle et sensuelle, reste une complice désirable dans l’intimité. "Là, je ne joue pas pour vous rendre amoureux d’une chorégraphie, ni d’une pantomime, ni d’un film". Désormais, dans Mémoires du Futur (son dernier album, paru ces jours-ci), la musique vous fait entrer dans un voyage imaginaire où vous voyez défiler vos propres personnages et évoluer les danseurs qui habitent votre esprit. Ceux, Naufragés du temps, qui marchent sur Le givre et l’oubli, au Carrefour de la nuit.
Les chansons sans parole d’Aubry sont bien loin du mutisme. Leur rythme et leur mouvement évoquaient jadis la mer et se retrouvaient souvent sur une mélodie italique -Prima Donna, Salento, Scirocco -. Maintenant, quand le chant prend la forme des paroles - Viendras-tu avec moi ?-, ce n’est pas leur sens littéraire, mais le timbre vocal, la couleur de la mélodie et l’ondulation des harmoniques, que l'on entend davantage.
Naguère rarissime sur scène, son dernier répertoire (notamment la musique de ses trois derniers disques), joué par un ensemble de neuf musiciens, lui permet désormais d’entamer une nouvelle série de concerts. "Depuis six ans, mon travail sur scène se multiplie sans cesse ; notamment en Grèce (mon meilleur public), Italie, Allemagne, Hongrie, mais aussi en France". L’occasion pour le public de redécouvrir un musicien qu’il "reconnaît" depuis vingt ans à travers le théâtre, la danse, le cinéma et les génériques de télévision.
René Aubry Mémoires du futur (HopiMesa/Wagram) 2006