Laurent de Wilde, retour vers le Présent.
Après six années passées à bidouiller des machines et à faire chanter les ordinateurs de la sphère électro, le pianiste de jazz Laurent de Wilde revient au trio acoustique avec The Present. Un album en forme de contemplation, qu’il (s’)offre en "cadeau".
Formule trio
Après six années passées à bidouiller des machines et à faire chanter les ordinateurs de la sphère électro, le pianiste de jazz Laurent de Wilde revient au trio acoustique avec The Present. Un album en forme de contemplation, qu’il (s’)offre en "cadeau".
Time 4 change en 2000, Stories en 2003, Organics en 2004 et The Present en 2006 : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en matière de sortie d’albums, le pianiste de jazz Laurent de Wilde a la bougeotte ! "En raison du turn-over commercial, la durée de vie d’un disque se limite à trois mois. Je me suis donc imposé cette règle : sortir un album tous 18 mois", explique-t-il avec un sérieux démenti par une imperceptible nuance d’ironie. "Ces projets qui s’enchaînent organisent mon désir de changement". Et en matière d’innovation, Laurent de Wilde surprend. Alors que l’électro-jazz, ou nu-jazz connaît ses heures de gloire avec des groupes tels Electro Deluxe, Booster, ou encore No Jazz, ce pionnier du genre revient, avec malice et peut-être une once de provocation, à ses premières amours : le jazz acoustique, sous sa forme la plus conventionnelle, en trio.
En 2000, Laurent de Wilde, dans le sillage d’Erik Truffaz ou de Julien Lourau, inaugure le troisième millénaire musical et jette un pavé dans la mare "stagnante" du jazz français et européen. Avec Time 4 Change (Le Temps de Changer), ce biographe de Monk, sacralisé aux Victoires de la musique 1998 pour l’art de "répertoire" de Spoon-a-rhythme, s’électrise et redonne au genre un souffle nouveau. "Dans les années 1980, le champignon atomique du free jazz redescend. N’en subsistent que des cendres fumantes" précise l’artiste. "Les musiciens actuels appartiennent à la génération Marsalis : un jazz conservateur de haut-vol, mais qui ne se renouvelle pas. Jusqu’alors, le genre appréhendait sa révolution tous les dix ans. La relève se fait attendre depuis maintenant un quart de siècle, si l’on excepte des personnalités hors normes telles Steve Coleman".
Marier le jazz à la techno, brancher la Blue Note, telle est la voie personnelle, choisie par Laurent de Wilde pour sortir de l’impasse : "Le jazz, art anthropophage, ne pouvait ignorer ces nouvelles formes d’expression". Pendant six ans, le pianiste bidouille donc des machines, fait chanter les ordinateurs, écume les scènes électro telles le Batofar, élargit son public aux technoïdes. Et renoue ainsi avec l’esprit originel du jazz : la danse et la fête, servies par un groove indéniable.
Le cadeau
Le retour vers un univers plus intimiste en 2006 avec The Present serait-il donc une trahison ? En aucun cas. C’est tout bêtement d’une envie personnelle, et d’un besoin instinctif, qu’a germé le projet. Quoi de plus naturel, en effet, que de revenir vers une expression familière ? "Je voulais retrouver l’intimité du son, la possibilité d’un piano ténu, les ombres, le silence, ainsi qu’un matériel plus précieux et plus fragile. The Present suspend le cour du temps : je m’offre ce cadeau", explique le pianiste, profitant de la polysémie du titre.
L’opus n’a d’ailleurs rien à voir avec un album de jazz traditionnel : seules quarante secondes de swing pur résonnent. "Je ne voulais pas composer un énième album de jazz avec des standards. En compagnie du bassiste Darryl Hall et du batteur Laurent Robin, nous avons tenté de forger un langage original. La formation en trio, formule tout-terrain et adaptable à l’infini comme un tabouret à trois pattes, plaçait la barre très haut. Comment, en effet, innover avec un matériel aussi classique ?" Un défi brillamment relevé, grâce, notamment, aux expériences électro qui ont nourri ses compositions : "Je considère désormais la musique comme un ingénieur du son : je travaille, en acoustique, la matière sonore, l’intensité du rythme, la puissance et l’ivresse. J’essaie de retrouver le dynamisme et la pulse du drum’n bass en trio". Deux titres du répertoire électro ont d’ailleurs été traduits pour basse, batterie et piano : The Present et Move On.
Pour le reste : du groove, du blues, du reggae (One for Ernie), tout ce dont a pu se nourrir un artiste aux horizons démesurés et aux oreilles curieuses, composent un style très personnel. Car au-delà des étiquettes, le pianiste nous propose du "Laurent de Wilde" : une musique éthérée et intimiste, couvée dans la chaleur d’un trio harmonieux. "Le temps de l’introspection était venu. J’avais besoin de créer un disque 'caresse' plutôt qu’un disque 'coup de poing'." Avant de repartir à nouveau vers un projet plus futuriste, un duo/duel "piano contre ordinateur", Laurent de Wilde offre aussi ce cadeau à l’auditeur. Un disque épicurien, un album en forme de pause, de souffle retenu et de contemplation. Un très bel opus qui fait écho aux paroles de la poétesse Dana Bryant, composées pour The Present version électro, il y a quelques années :
"Yesterday is history, tomorrow is a mystery
But today is a gift.
That’s why they call it :
The Present"*
*"Hier, c’est l’Histoire, et demain est un mystère
Mais aujourd’hui est un cadeau.
C’est pour ça qu’on l’appelle : le Présent"
Laurent de Wilde The Present (Nocturne) 2006
En concert : Une semaine au Sunside à Paris du 6 au 10 juin 2006.
Les 6, 7 et 8 juin : Laurent de Wilde trio invite Malia
Les 9 et 10 juin : Laurent de Wilde The Present trio