Nguyên Lê, guitar hero
Guitariste émérite, Nguyên Lê a su au fil d’une trajectoire initiée autour du projet désormais culte - Ultramarine - enrichir son univers au gré des rencontres et des envies. Alors que paraît Homescape, son tout dernier album enregistré chez lui en duo avec Paolu Fresu et Dhafer Youssef, sont réédités Dé et E Si Mala, deux des trois opus d’Ultramarine ainsi que Miracles et Zanzibar, ses deux premiers albums solo.
Nouvel opus et rééditions
Guitariste émérite, Nguyên Lê a su au fil d’une trajectoire initiée autour du projet désormais culte - Ultramarine - enrichir son univers au gré des rencontres et des envies. Alors que paraît Homescape, son tout dernier album enregistré chez lui en duo avec Paolu Fresu et Dhafer Youssef, sont réédités Dé et E Si Mala, deux des trois opus d’Ultramarine ainsi que Miracles et Zanzibar, ses deux premiers albums solo.
"Je suis né en 1959 dans une famille franco-vietnamienne" confie Nguyên Lê comme pour oblitérer le début de son histoire. "Mais, mes premiers contacts avec la musique ne datent que du milieu des années 70, avant je passais le plus clair de mon temps à dessiner ou à peindre. C’est au lycée en fait que j’ai commencé à pratiquer la batterie avec des copains" ajoute celui qui est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs guitaristes de sa génération. La reconversion a été très rapide. "J’ai craqué pour la guitare quand j’ai réalisé qu’avec cet instrument je pouvais chanter."
Les années Ultramarine
Après une licence d’arts plastiques et une maîtrise de philosophie centrée sur le thème de l’exotisme, Nguyên Lê se consacre pleinement à la musique. En 1983, il participe activement à la création d’Ultramarine, au côté de Mario Canonge. Cette formation novatrice à la croisée du jazz et des musiques africaines et afro-caribéennes a marqué de son empreinte toute une génération de musiciens à travers la monde. "C’est avant tout un état d’esprit africain que j’adore et que j’essaie encore maintenant de préserver bien au-delà de l’aventure Ultramarine. Ça a été et c’est encore aujourd’hui une source d’inspiration pour moi. C’est un autre rapport à la danse, au rythme et une certaine joie à la fois" analyse-t-il précisant au passage que la formation s’est éteinte sans véritable acte de décès, "plus par absence de chef, de leader que par désaccord artistique. Il nous est même arrivé de rejouer tous ensemble depuis" glisse-t-il, citant un concert au Sunset (Paris) et un au Festival de Nice en 2003.
L’Orchestre National de Jazz
En parallèle, Nguyên Lê accompagne en studio ou sur scène des artistes aux expressions aussi diverses que Jim Cuomo, Claude Nougaro, Ray Charles, Eric le Lann, Safy Boutella, Cheb Mami, Kudsi Erguner. Trois ans durant, de 87 à 89, il participe à l’aventure de l’Orchestre National de Jazz (O.N.J.) d’Antoine Hervé. Toutes ces années sont riches d’expériences et de vécus pour le musicien qui apprend entre autres alors à lire la musique ou à se placer au sein d’un orchestre. "Cela demande beaucoup de rigueur, de discipline. Cela offre parfois moins de plaisir, mais c’est professionnellement très intéressant. Il faut arriver à préserver son identité tout en n’étant qu’un au milieu d’autres, tout en jouant des choses qui ne sont pas les siennes."
La signature Lê
"En sortant de l’O.N.J., j’ai eu besoin d’affirmer mes premiers pas musicaux, de mettre en forme mon univers". Miracles sera son premier opus. "Chaque seconde de notre vie est un miracle" précise le musicien qui, depuis a signé plusieurs albums sous son nom. Capable de redonner vie au répertoire d’Hendrix d’où sa réputation de guitar-hero, de revisiter avec la participation de la chanteuse Huong Thanh le patrimoine musical vietnamien, de se confronter aux musiques du Maghreb ou d’imaginer en compagnie du pianiste américain Uri Caine une nouvelle lecture de l’œuvre de Mozart, Nguyên Lê signe une œuvre originale qui revalorise à chaque instant l’idée de l’exotisme. "Dans tous mes disques, j’ai une approche ethno-musicologique, un regard sur la mémoire, sur la découverte. C’est toujours moi face à un univers (Hendrix, le Maghreb, les musiques vietnamiennes…). J’ai besoin d’affirmer mon point de vue, de dire des choses, des choses que d’autres n’ont pas dites avant. C’est pour cela que je suis musicien. Cela peut paraître présomptueux, mais c’est toujours fait avec amour et respect" souligne Nguyên Lê.
Huang Thanh : l’authenticité de la tradition
Emerveillé encore aujourd’hui par la force de la prise de conscience de son identité, il confie : "Ce n’est que lorsque j’ai compris qui j’étais, que j’ai pu partager mes richesses avec les autres". Ce sens du partage, de la rencontre, irrigue toute son œuvre. Même lorsqu’il se retourne sur ses origines comme sur les trois opus qu’il a réalisé pour la chanteuse vietnamienne Huang Thanh, c’est encore pour échanger. "Je l’ai rencontrée en 95. Huong Thanh est née au Vietnam et est arrivée en France en 75. Elle est beaucoup plus imprégnée de culture vietnamienne que moi. C’est en tout cas plus naturel, plus viscéral chez elle. Pour moi, elle incarne l’authenticité de la tradition. Elle chante sans douter à l’instinct, en s’appuyant inconsciemment sur des centaines et des centaines d’années de chants, alors qu’un musicien contemporain doute à chaque instant. Il n’a pas cette antériorité, pas cette légitimité. On a beaucoup travaillé ensemble au point qu’aujourd’hui on peut créer nos propres musiques comme si c’était des musiques traditionnelles" explique-t-il.
En duo avec Paolo Fresu ou Dhafer Youssef
"Homescape, mon dernier opus est une série de duos avec le trompettiste Paolo Fresu et le chanteur et joueur de oud Dhafer Youssef. C’est une exploration de manière souterraine, presque intimiste des rapports entre sons acoustiques et sons des machines" commente le musicien qui a enregistré cet album dans son salon. "Tout s’est fait de manière très conviviale, entre amis. C’est important pour moi car je suis quelqu’un qui ne s’exprime guère. C’est sûrement dans mon caractère asiatique. Je préfère la compréhension implicite qui naît de l’échange entre musiciens, aux longs discours" confie-t-il. "De plus, j’ai cherché - à toutes les étapes de cet album que ce soit lors de l’enregistrement ou plus tard quand j’ai travaillé la matière devant mon écran d’ordinateur – à servir au mieux mes invités, à les mettre le plus en valeur". Le résultat est à la hauteur de ses espérances. Très inspirés, ces duos confrontent de l’intérieur, sans voyeurisme, le mystère de l’Asie à la fière insularité de l’âme sarde ou à la magie de l’Orient. "Je me souviens que lors du premier concert qui avait suivi la sortie de Miracles, j’avais dit au public : J’ai l’impression que vous êtes dans mon salon. Aujourd’hui, je renoue avec ce sentiment en les invitant à nouveau dans mon salon. C’est un grand plaisir".
Nguyên Lê-Paolo Fresu-Dhafer Youssef Homescape (Act/Harmonia Mundi) 2006