Number 9 Records
Quand la musique se fait label
Original Soundcrack, la dernière et très fréquentable friandise pop de Roudoudou vient de paraître sur un nouveau label : l’indépendant Number 9 Records. Avec à peine sept mois d’existence, cette écurie musicale mise sur le développement d’artistes, et surtout sur un mode de fonctionnement artisanal où la musique reste l’unique carburant. Reportage.
A commencer par ses locaux. L’adresse est celle d’un garage, où l’on croise plus de mécanos en bleus de travail que d’artistes en promo. Les seules notes que l’on entend sont celles d’un transistor poussif posé à même le sol. Il faut en fait, pour trouver la porte du label, s’engouffrer dans un passage autrefois réservé aux voitures. Puis, emprunter une pente bétonnée dépourvue d’escaliers. Enfin, descendre au sous-sol. Seul lien avec l’étage du dessus : ici aussi, on sait mettre les mains dans le cambouis !
Premier contact avec cet underground stricto sensu : une imposante statue de bois, qu’on jurerait sortie d’une page d’un vieux Tintin. Façon de dire que les lieux abritent une bande de sauvages ? Pas vraiment. Tout au plus ses occupants ne sont pas de la même tribu que celles des "Major Companies". "Ici, c’est un studio d’enregistrement" précise Roudoudou, dont le nouvel album Original Soundcrack est hébergé par Number 9 Records. "Il y a des gens qui font leur musique, on est vraiment dans un environnement de création. Ce sont des choses que l’on ne voit pas généralement quand on va dans un label, où on se retrouve dans des bureaux, avec des gens qui ont fait des écoles de commerce…Ce n’est pas du tout la même approche, c’est sûr".
Ni la même ambiance. Le tableau est ici gentiment foutraque, entre un vélo posé le long d’un mur, un canapé un peu fatigué, ou un vieux Wurlitzer devenu support à plantes vertes. "Tout part de studios d’enregistrement qu’on avait, et qui s’appellent Mercredi 9*" rappelle le label manager Fred Carrayol. "On était une quinzaine d’artistes, et comme on s’est petit à petit tous fait lourder des maisons de disques, on s’est dit un jour qu’il fallait faire un truc tous ensemble. Il y a eu plein d’énergies qui se ont rassemblées. On a mis un an à développer cette idée, et puis là, c’est parti." Avec comme dénominateur commun une certaine idée du métier. "On n’était pas à la recherche du single, on cherchait à faire de la musique différente, sortir un nouveau projet tous les six mois…" ajoute Fred, qui se voit avant tout en artisan, et précise d’ailleurs que son label est inscrit au registre du commerce !
De fait, en plus de son côté "label à hauteur d’hommes", ce qui caractérise Number 9, c’est précisément la proximité avec sa matière première. Et son souci de ne pas être qu’une étiquette interchangeable. Ecurie autant que label, Number 9 possède son identité sonore, sa griffe. Comme jadis les Motown, Blue Note ou plus récemment Acid Jazz Records. Ses projets convoquent une même famille de musiciens, dont les membres louent chacun leur studio et se retrouvent sur les disques des uns et des autres -comme on peut le vérifier sur le nouveau Roudoudou, où chaque intervenant a sa photo sur la pochette du disque ! "C’est une sorte de communauté artistique dans lequel tout le monde participe", note la co-label manager Anne Lamy. "Chaque fois qu’un album sort, l’artiste participe à tout : nous aider à faire les copies des CDs promo, nous donner leurs contacts, les partager pour les autres artistes…En ce qui concerne le marketing, on n’a pas de moyens. Donc on essaie de trouver des idées, de faire des échanges, de fonctionner de façon un peu roots. C’est très artisanal, mais on arrive à avoir des résultats".
Cette façon de jouer collectif n’est cependant ni un excès de naïveté, ni une réminiscence baba cool. Un qualificatif que Fred Carrayol balaye d’ailleurs d’un revers de main. "C’est une vraie vision économique de la musique. Il y a beaucoup d’artistes en France qui vont vendre 50000 albums, mais sur qui on a mis 2 millions de promo…Nous, on a un peu d’argent, on sort des disques avec le peu d’argent qu’on a, et on essaie de récupérer un peu de sous avec les disques qu’on va vendre. Et d’avoir une vraie logique économique. Le but, c’est de faire vivre une petite structure. On essaye de faire de la musique. Dans l’industrie du disque, c’est un peu anachronique. C’est une autre vision des choses." Le système a ses limites, matérielles notamment. Mais les récentes sorties du label (Roudoudou, Superkable, Super Tronics) et celles à venir (Mako et Tomato, 9CH…) sont des atouts de choix. Sa façon de vivre la musique en immersion totale, dans un sous-sol où seule la lumière est artificielle en est un autre. Et pas des moindres.
* Etienne Daho, Salif Keita ou Tony Allen, ont entre autres, déjà enregistré dans les studios Mercredi 9
Loïc Bussières