Madagascar essaie le coupé décalé

Conçu pour faire découvrir le coupé décalé au public de la Grande Île et apporter un peu de nouveauté sur les pistes danse où le salegy règne en maître, l’album, Coupé Décalé, qui vient d’être enregistré dans les studios d’Antananarivo fait renaître sous une forme rythmique totalement différente une dizaine de chansons comptant parmi les plus grands succès de la musique malgache.

Un nouveau rythme au pays du salegy

Conçu pour faire découvrir le coupé décalé au public de la Grande Île et apporter un peu de nouveauté sur les pistes danse où le salegy règne en maître, l’album, Coupé Décalé, qui vient d’être enregistré dans les studios d’Antananarivo fait renaître sous une forme rythmique totalement différente une dizaine de chansons comptant parmi les plus grands succès de la musique malgache.

D’ou vient le coupé décalé ? Des boîtes de nuits parisiennes fréquentées par la communauté africaine ? De Côte d’Ivoire, voire du Congo comme l’affirment certains ?

Une chose est sûre : quelques années après son apparition, cette musique a trouvé son public et traversé sans peine les frontières au point de faire partie du paysage musical de nombre de pays du continent africain. Elle vient même de franchir le canal du Mozambique, puisque c’est au tour de Madagascar de suivre le mouvement.

 L’album Coupé Décalé est un premier essai, destiné avant tout au marché domestique. "L’idée m’est venue en écoutant du coupé décalé sur RFI tous les soirs dans ma voiture" se souvient Jean-François de Comarmond, ancien patron de la maison de disques Mars, installée sur la Grande Île depuis 1937 et dirigée aujourd’hui par son fils Stéphane. Sous-titrée "le nouveau rythme qui fait danser", cette production d’un genre encore inédit à Antananarivo ne répond pas réellement à une demande mais tente plutôt de la susciter. Pour ne pas désorienter le public et l’aider à entrer dans ce nouvel univers rythmique, les initiateurs du projet ont astucieusement décidé d’adapter en coupé décalé des airs connus de tous les Malgaches.

L’essentiel du répertoire est constitué de tubes sortis au cours des quinze dernières années et devenus des classiques, comme Banja Malalaka de Mily Clément, Regarega de Tianjama, que ses compatriotes surnomment le "Grand Maître", ou Hoy Aba du groupe Tearano. Quelques titres plus anciens mais toujours populaires ont aussi trouvé leur place : Sigara Mentola de Jean Fredy fut l’une des plus grosses ventes de l’histoire de la musique de l’île. Même l’incontournable menuet du folklore malgache Afindrafindrao a été passé à la moulinette du coupé décalé !

Cyrus Parfait, maître d'oeuvre

C’est à Cyrus Parfait qu’est revenue la tâche de réaliser cet album qui "a commencé comme un gag". Son expérience faisait de lui l’homme de la situation : rôdé depuis de longues années au travail en studio, il était tout désigné pour réarranger ces standards locaux qu’il connaît sur le bout des doigts pour être intervenu sur les versions originales de certains d’entre eux. S’il reconnaît n’avoir pas été tout à fait convaincu au début de l’aventure, le maître d’œuvre s’est rapidement laissé prendre au jeu, motivé par le challenge. "Lorsqu’on a décidé de prendre des chansons que tout le monde connaît, il y a eu un long moment de triage. Il fallait d’abord vérifier qu’elles étaient transposables. Parce que, bizarrement, il y a des chansons pour lesquelles c’est possible, et d’autres non. Techniquement, on pourra toujours y arriver, mais pour certains morceaux, ça ne sonne pas, la magie est partie", explique le réalisateur.

Et ce ne sont pas forcément les plus modernes et les plus rythmés qui sont les plus simples à restructurer : Dans ma case en falafa d’Henri Rastimbazafy, doyen de la chanson malgache, s’est mieux prêté à l’opération que Velono de Jaojoby. "Plus les mélodies sont malgaches, plus c’est difficile", commente Jean-François de Comarmond. Au fur et à mesure que le processus de transformation avançait, d’autres obstacles imprévus se sont dressés que Cyrus Parfait a cherché à contourner : "Si on avait fait le coupé décalé tel qu’on l’entend sur les rares albums qui arrivent à Madagascar, sur les quelques chansons qui passent à la radio, ça n’aurait pas accroché les oreilles des Malgaches. Donc il a fallu adapter. Les gens qui connaissent bien le coupé décalé vont peut-être voir une différence : il y a des rythmiques qui manquent, moins de guitares... Mais tout cela n’est pas un hasard, on l’a fait pour le marché malgache."

L'esprit de la fête

Mené en parallèle aux autres projets développés par Mars, l’enregistrement de cet album singulier s’est déroulé de façon inhabituelle, avec une rare dimension collective qui a permis d’affiner les morceaux jour après jour. Chaque fois qu’un musicien, un chanteur venait en studio pour ses propres affaires et écoutait l’un des titres en gestation, il manifestait l’envie d’apporter sa contribution. Au final, presque tous les artistes de la maison de disques sont présents. La liste était si longue que seuls les participants les plus réguliers, comme le chanteur-guitariste Théo Rakotovao, leader du groupe Mikea, ont été crédités sur le CD ! Mais pour coller au concept du coupé décalé, il fallait aussi retrouver son esprit, celui de la fête. A l’image de DJ Jacob ou DJ Arafat, stars de ce genre musical, Big Jo est donc venu jouer les "ambianceurs". Roi des nuits malgaches, le deejay le plus célèbre de la Grande Île est un allié de poids : à Madagascar comme ailleurs, c’est parfois sur les pistes de danse que les modes se lancent.

Bertrand Lavaine

Coupé Décalé (Mars) 2006