Plus Murat que jamais
Après un silence inhabituel de presque dix-huit mois, Jean-Louis Murat revient avec un nouvel album Taormina. Rencontre avec un artiste qui n'en finit pas d'écrire, poésie et chansons, solitaire parmi les mots.
Taormina
Après un silence inhabituel de presque dix-huit mois, Jean-Louis Murat revient avec un nouvel album Taormina. Rencontre avec un artiste qui n'en finit pas d'écrire, poésie et chansons, solitaire parmi les mots.
La dernière fois que Jean-Louis Murat a publié son travail, c’était au printemps 2005. Il sortait alors un album "normal", Moscou, un album consacré aux chansons de Pierre Jean de Béranger, 1829, et un gros livre de poésie accompagné d’un CD et d’un DVD, 1451. C’était la fin de son contrat avec Virgin-EMI, maison de disques qui avouait quelque difficulté à assumer la logorrhée du chanteur auvergnat. Il revient ces jours-ci au rayon des nouveautés avec l’album Taormina, après presque dix-huit mois sans nouvel album – un silence d’une durée inhabituelle pour un chanteur qui avoue franchement : "Je déteste les artistes modestes. La modestie chez les artistes n’entre jamais en ligne de compte dans ce que je pense devoir être un artiste". Car Taormina est un disque volontiers ambitieux, qui prend à bras-le-corps quelques-uns des grands thèmes humains, de la place de Dieu aux figures contrastées de l’amour.
RFI Musique : Vous avez parfois expliqué que vous écriviez tous les jours. Continuez-vous encore, malgré le ralentissement de votre production ?
Jean-Louis MURAT : J'écris beaucoup de chansons parce que c’est une exigence quasi biologique d’aller voir ailleurs. Sinon la prison est assez étouffante.
Et vous écrivez seulement des chansons ?
J’aime beaucoup écrire de la poésie. Je me suis rendu compte que cela ralentit mon rythme cardiaque. La fixation sur le refrain, le retour, la versification, il y a une sorte de balancement – comme le bébé dans son berceau. C’est un exercice de la dimension d’un exercice de yoga, comme la lecture de Proust, qui apaise le système nerveux. Je ne pense plus à rien, j’écris, et j’ai l’impression que ça me remet la machine à l’endroit. Et je me retrouve moi-même.
Je suis graphomane et musicien, je dirais. J’écris pour le plaisir de la graphie et de la musicalité des choses. J’ai besoin de ça tous les jours pour retrouver un étiage normal. Si je n’ai pas ça, ça se voit tout de suite. Les gens qui me connaissent me disent : tiens, tu n’as pas écrit aujourd’hui.
Imaginez-vous que le flot de vos chansons un jour se tarisse ?
Je ne sais pas comment ça doit être pris mais, avec tout ce qu’il y a à écrire et à chanter, je peux vivre jusqu’à 120 ans sans en faire le tour. Je me sens plus à recycler qu’à être au sens propre créatif. J’ai l’impression d’être face à la bibliothèque d’Alexandrie pendant qu’elle brûle : je me contente de ramasser des trucs qui volent de partout. Cette opération de recyclage dans laquelle s’engouffre toute ma créativité est évidemment sans fin. J’ai l’impression d’être entouré par des montagnes de minerai. Je suis un haut fourneau et j’ai du boulot à vie. Jamais je n’arrêterai.
C’est la fin du jour, la fin du banquet, les ombres s’allongent. Il reste quelques trucs sur les tables – mais quand même de quoi manger longtemps.
Y a-t-il, d’un point de vue artistique, des formes ou des pratiques que vous avez épuisées, qui ne vous intéressent plus ?
Oui, des toquades : faire son Ferré, faire son Brassens… J’ai fait une reprise de la Ballade de Melody Nelson de Gainsbourg en chantant exactement comme lui, juste pour comprendre – du boulot pour moi, quelque chose que je ne sors pas. Dès qu’il y a un artiste que j’aime vraiment, je ne reste pas ébahi devant son œuvre et je le reprends, pour voir de l’intérieur. J’ai fait Le Petit Cheval de Brassens, du Dylan, Monsieur Richard de Ferré, Nuits d’absence de Caussimon que j’ai chanté je ne sais combien de fois à la fin de mes concerts.
Enfin, le plus mariole de tous, c’est quand même Gainsbourg : Paul Verlaine et Charles Cros d’une main, des mélodies de Sibelius de l’autre… On m’a demandé récemment quels sont mes trois artistes préférés en chanson française et j’ai dit Boby Lapointe, Joe Dassin et Jean-Roger Caussimon – je crois ne pas m’être trompé.
Vous sentez-vous à l’aise dans cette époque ?
Plus ça va, plus je me rends compte que je suis un mec à l’ancienne. J’ai de plus en plus de problèmes avec les gens. Je pense que le disque parle de ça : j’ai de plus en plus de mal à me caser, je me retrouve là-haut chez moi comme un pauvre aigle isolé de tous...
C’est de cela que parle Maudits, quand vous chantez : "Maudits/Peuples maudits/Que les temps sont mauvais/Je n’y trouve aucun plaisir"…
Et de ceux qui pensent avoir une ligne directe avec Dieu. J’ai même changé la fin parce que sinon je me serais trouvé avec une fatwa sur le dos. Je ne suis pas contre l’idée de Dieu, mais contre les establishments religieux ou athées qui nous cassent les pieds. D’ailleurs, je mets Onfray et Khomeiny dans le même sac.
Jean-Louis Murat Taormina (Scarlett-V2) 2006
En tournée française à partir du 20 octobre 2006