Ferré par Lavilliers
Le concert d’ouverture de la mini-tournée Lavilliers chante Ferré a mis les adorateurs de Léo Ferré en émoi hier soir au Théâtre du Châtelet. Pendant deux heures, Bernard Lavilliers a titillé leurs souvenirs et leur matière grise, disant et chantant quelques-unes des plus belles œuvres du poète-chansonnier.
Un hommage enchanté au Châtelet
Le concert d’ouverture de la mini-tournée Lavilliers chante Ferré a mis les adorateurs de Léo Ferré en émoi hier soir au Théâtre du Châtelet. Pendant deux heures, Bernard Lavilliers a titillé leurs souvenirs et leur matière grise, disant et chantant quelques-unes des plus belles œuvres du poète-chansonnier.
20h au Théâtre du Châtelet, à Paris. "Ferréphiles" et fans de Bernard Lavilliers - tous âges confondus - se bousculent et s’installent dans la grande salle aux moulures dorées. Qui dans un douillet fauteuil de velours grenat, qui sur un strapontin déplié à la va-vite… La salle est comble. Et impatiente. A 20h15, une première salve d’applaudissements réclame Bernard Lavilliers. A 20h20, le chanteur surgit sous les hourras. Pantalon en cuir près du corps, chemise noire et boucle d’oreille rutilante, il salue l’assistance.
Avant d’entamer la première partie de son hommage à Léo Ferré, il dédie le spectacle à Marie-Christine Ferré, veuve du poète : "Elle est là ce soir quelque part dans la salle et sans elle, cette tournée n’existerait pas." Un silence ému, puis c’est parti pour une série de chansons sur le mode piano-voix : Franco La Muerte, Merde à Vauban, La Mélancolie… En bon fils spirituel de Léo Ferré (il dit que s’il chante aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui), Bernard Lavilliers fait claquer les mots d’une voix forte, sans doute pour en dire toute la lucidité. Une lucidité parfois comique, comme sur Vingt ans : Quand on aime c’est pour toute la vie / Cette vie qui dure l’espace d’un cri, d’une permanente ou d’un blue-jean.
Au piano, Xavier Tribolet accompagne le chanteur avec une complicité virtuose, tricotant un début de concert intimiste et poignant. Mais bientôt, cette sobriété laisse place à un set plus rock. Tandis que Bernard Lavilliers entonne Le Chien avec conviction, Thierry Fanfant (basse et contrebasse), Vincent Faucher (guitare) et Gil Gimenez (batterie) le rejoignent un à un. Chacun bidouillant son instrument au gré de paroles de plus en plus engagées : Et si vraiment Dieu existait / Comme le disait Bakounine / Ce Camarade Vitamine / Il faudrait s'en débarrasser. Phrase et pensée culte de Ferré qui provoque plusieurs applaudissements ça et là. Et qui fait sourire l’insoumis Bernard Lavilliers, qui a connu Léo Ferré il y a 30 ans lors d’une tournée d’été collective, alors qu’il l’admirait déjà depuis un bail.
Le chansonnier aurait eu 90 ans cette année. Bernard Lavilliers, lui, fêtera ses 60 ans le 7 octobre. 30 ans d’écart mais une rage commune contre les idées reçues et les pensées courtes et "courbes". Une passion pour le verbe et la poésie, à utiliser pourquoi pas à des fins politiques : "Le vers doit faire l’amour dans la tête de la population", écrivait hier Léo Ferré. "La pensée mise en commun est une pensée commune" poursuit aujourd’hui l’auteur de On the road again, remerciant le public du Châtelet d’être venu jusqu’à lui "pour en écouter un autre".
Ayant rendu à Ferré ce qui est à Ferré, il se permet ensuite quelques arrangements plus personnels. Une version très slow des seventies de La "The Nana" ("souvenez-vous, c’était l’époque psychédélique de Ferré, quand il se produisait avec le groupe Zoo", rappelle Lavilliers). Un C’est extra jazzy avec piano, orgue et contre-basse, L’étrangère façon manouche et un Mr William à la sauce latino. Mais les notes finales du spectacle reviennent à l’orchestre symphonique Pasdeloup. "Celui-là même qui avait accompagné Léo au Palais des Congrès en novembre 1975", se souvient Bernard Lavilliers.
Sous la direction du chef d’orchestre Cyrille Aufort, cordes, cuivres et cymbales s’activent. On sent Bernard Lavilliers le baroudeur moins à l’aise avec cette formation classique qu’avec ses musiciens. Mais, peu à peu, sa voix se pose pour chanter La mémoire et la mer, Oh triste triste était mon âme, Les Corbeaux, Est-ce ainsi que les hommes vivent. Des textes signés Ferré, Verlaine, Rimbaud et Aragon, sur une musique digne d’un tableau pointilliste.
Quand les premières notes de Avec le temps sont jouées, la salle tombe dans un quasi-recueillement. Toute ouïe à l’émotion de Bernard Lavilliers, qui met plusieurs secondes à se remettre de l’avoir chantée. C’est la fin du concert et la standing ovation. Le parquet tremble et Nana Mouskouri et Jean-Claude Brialy - au premier balcon - en redemandent. Bernard Lavilliers revient seul avec sa guitare. Et, comme pour résumer le plus simplement du monde la filiation qui l’unit à Ferré et conclure l’hommage qu’il vient de lui rendre il chante "Pour passer le temps je chante".
En tournée en France jusqu’au 2 novembre. Les dates sont disponibles sur le site de Bernard Lavilliers.