Variations Caraïbes

Pour la première fois à Paris, un festival a proposé, du 27 septembre au 1er octobre, la découverte des cultures de La Caraïbe. Labellisé Francoffonies !, l’événement a connu un franc succès pour ce coup d’envoi. Avec des concerts de toute beauté, qui témoignent de la vigueur créative de la région.

Festival créole

Pour la première fois à Paris, un festival a proposé, du 27 septembre au 1er octobre, la découverte des cultures de La Caraïbe. Labellisé Francoffonies !, l’événement a connu un franc succès pour ce coup d’envoi. Avec des concerts de toute beauté, qui témoignent de la vigueur créative de la région.

Que connaît le public français des îles caribéennes - Haïti, Sainte-Lucie, Dominique, Martinique, Guadeloupe - sinon les groupes phares des années 1990 : Malavoi, Kassav ou Zouk Machine ? Que sait-on de leur vitalité artistique, de leurs expressions picturales ou littéraires, témoins d’un brassage ethnique et culturel entre Amériques, Europe et Afrique ? Par quelles créations s’affirme aujourd’hui l’identité de cette région du globe, si proche et pourtant mal connue ? Loin des images d’Epinal véhiculées par les agences touristiques à  renfort de plages, de rhum et de zouk love, le festival Variations Caraïbes comble un vide, pour le bonheur d’un public "en manque" de manifestations.

Cinq nuits thématiques

Pendant cinq jours, le soleil, la biguine et le jambon de Noël ont investi la Maison des Cultures du Monde. Si l’espace déambulatoire accueillait les expositions, des concerts animaient, chaque soir, l’auditorium de l’Alliance Française. Au menu de ces nuits thématiques : du jazz, du bélé (musique traditionnelle de Martinique), du blues, des chants vaudous, autant de déclinaisons de l’art caribéen. Avec pour ingrédients : de la bonne humeur et un public chaud-bouillant qui danse, chante, interpelle en créole, malgré un décor un peu guindé.

La Nuit Bleue, en ouverture, fut assurée par l’un des groupes les plus attendus de l’événement : les martiniquais Bwakoré, en concert pour la première fois à Paris. Afin de pallier l’absence du guitariste Ronald Boo Hinkson prévu en première partie, le quintette de jazz a régalé les auditeurs d’un show de plus de deux heures. Toujours inventive, la prestation n’a, jusqu’au bout, relâché ni le groove ni l’énergie, preuve d’un répertoire varié, et d’une générosité rare.

Surtout, Bwakoré propose un art inouï, à mi-chemin entre musique traditionnelle martiniquaise (biguine, mazurka, grand bélé), et jazz. Le mélange laissait redouter le pire. C’est le meilleur qui fut offert ce soir-là, avec une cohérence et une articulation des deux univers, qui laisse pressentir l’émergence d’un genre musical nouveau. Duos et duels de saxophones au sommet, improvisations exaltées et chants créoles en cadeau, furent accompagnés d’une batterie swinguée, qui supporta la blue note sur un rythme biguine. Il n’en fallait pas plus pour sentir ses pieds battre la mesure, et se déhancher. Le public salua par une dancing ovation cette formation récompensée par la Sacem en 2004 pour un travail de réflexion musicale, qui rafraîchit. "Il y a du planteur dans le jazz" conclut un spectateur.

Au cœur du bélé

Saut dans le temps : embarquement pour la Nuit d’Envoûtement, soirée de clôture du festival qui honora, en trois temps, les racines créoles. Premier sur scène : un duo entre père et fils, Edmond et Manuel Mondésir, au service de l’émotion bélé. Les "chants du père", percussionniste, et la "musique du fils", aussi à l’aise à la guitare qu’à la voix, s’unissent pour explorer et réinterpréter l’art de la tradition, étudié depuis trente ans par Edmond.

Chaque morceau propose un rythme différent, chaque rythme une émotion : c’est bien une aventure musicologique au cœur du bélé, du blues de l’île, que nous présente le duo. Un voyage entre deux générations, qui n’en oublie pas le plaisir : intimité des interprètes, musicalité, et réappropriation du patrimoine, avec l’utilisation pertinente de samplers.

"Bonsoir la société, honneur et respect. Acceptez que mon chant soit barbare, mes accords dissonants." La deuxième partie adopte la forme et la beauté d’un mythe. Sanglant. Yane Mareine s’avance, princesse au crâne rasé, aux bras torsadés de bracelets, drapée d’une robe couleur feu. Ses chants vaudous d’Haïti, accompagnés du percussionniste Guem et d’un guitariste, son charisme tragique, envoûtent l’auditoire. Un frisson parcourt l’assistance ; des larmes que l’on n’essuie pas. Incarnation de la voix des esclaves, métaphore de la douleur et de la révolte : l’actrice et chanteuse, splendide, joue sa voix, son cœur et son corps, au gré d’une performance habitée, touchée par la grâce.

Le final, enfin, fut enlevé par le martiniquais Kolo Barst. Son blues revendicatif, au travers duquel s’expriment l’âme et les souffrances de son île est repris en chœur, par un public conquis, fier de son appartenance. Acclamation générale pour le dernier titre Peyi-Nou avec son refrain, comme un hymne : "Elas !/Elas péyi mélé/Elas Matinik/Nou piti nous piti nou piti/Nou ké gran".

Fédération créole

Il y eut encore trois autres nuits aux Variations Caraïbes. La Nuit Ocre consacrée au conte et à l’art de la parole, avec une rencontre concoctée pour l’occasion, Rimes et Rythmes, entre le batteur de jazz Jean-Claude Montredon et le conteur Philippe Cantinol ; la Nuit Azur autour de la Caraïbe non francophone : les portoricains Los Renuentes et le Nostalgia Big Band de Gregory Rabess à l’origine du deuxième "hymne" du festival, Fédération créole ; et la Nuit Chaude, visiblement très chaude, avec les chanteurs guadeloupéens Inès et Dominik Coco. Pour les insatiables, ces nuits multicolores s’achevaient par une nuit blanche au Triptyque sur les vibes d’un sound system.

Le lendemain, les trois organisatrices du festival paraissaient fatiguées, mais heureuses. A l’origine de la manifestation : l’association Le Cri du Peuple, lauréate du prix Paris Jeunes Associations, issue du bar Montmartrois le Rendez Vous des Amis. "Nous avions en effet l’impression de combler un vide. Mais nous n’en avions pas mesuré l’ampleur !", se réjouit Audrey Célestine, coordinatrice de l’événement, d’origine antillaise. "Même les conférences-débats furent un succès. Il y avait un réel esprit de festival." Variations Caraïbes a donc réussi son pari : définir l’identité créole au travers de ses dimensions artistiques. Rendez-vous pris l’année prochaine pour la seconde édition !