Marcel Amont, pas si décalé
Après vingt ans de désert médiatique, Marcel Amont sort Décalage horaire, un album dont les mélodies et l’orchestration tirent vers le jazz. A 77 ans, l’ éternel jeune homme bel et bien décalé, offre des titres d’un autre âge, au swing désuet. Une nostalgie et un charme rétro contrebalancés par l’étonnante modernité et la faculté d’adaptation d’un artiste modeste, plein d’humour et d’autodérision.
Délicieusement démodé
Après vingt ans de désert médiatique, Marcel Amont sort Décalage horaire, un album dont les mélodies et l’orchestration tirent vers le jazz. A 77 ans, l’ éternel jeune homme bel et bien décalé, offre des titres d’un autre âge, au swing désuet. Une nostalgie et un charme rétro contrebalancés par l’étonnante modernité et la faculté d’adaptation d’un artiste modeste, plein d’humour et d’autodérision.
RFI Musique : Avec Décalage Horaire, vous effectuez, à 77 ans, votre come back ?
Marcel Amont : Totalement ! En quinze jours, j’ai assuré plus de promo que durant les vingt dernières années : deux journaux télévisés, les émissions radio et télé.
Revenons en arrière …
Après des études au conservatoire d’art dramatique de Bordeaux, je suis monté à Paris à vingt-deux ans, jacobinisme oblige. Très vite, je suis devenu ce qu’il est convenu d’appeler une vedette, dont la renommée explosait les frontières - je chantais alors en huit langues ! Mais la gloire (avec des guillemets) et le pognon (sans guillemet), c’est bien beau ! J’avais besoin d’autre chose, pour combler une vie privée pour ainsi dire ratée. A quarante-sept ans, j’abandonne donc mon existence de patachon pour épouser Marlène. Arrivent deux enfants. Je change de vie, endosse le rôle de mari et de père. Et je deviens complètement has been dans l’Hexagone. J’ai continué les tournées dans les pays francophones et sur des croisières. Les gens de ma génération venaient encore me voir : assez de personnes "démodées" pour former un public ! J’ai exercé ainsi mon métier jusqu’à 70 ans passés.
Pour les médias, pourtant, j’étais inexistant. Ce n’est pas qu’ils avaient une dent contre moi. Mais quand on leur parlait de Marcel Amont, la réaction la plus courante était : "Ah bon, il n’est pas mort ?" Le peloton de tête m’avait distancé, je jouais désormais en quatrième division. Les personnes que je croisais me félicitaient : "Ah ! Le Mexicain, c’était le bon temps !" sans rien connaître des chansons écrites depuis. Pendant ces vingt ans de purgatoire - tout à fait vivables ! -, je me disais : "Tu as une famille formidable! Impossible, comme dit l’adage, d’avoir le beurre et l’argent du beurre ! Et en ce qui concerne ta carrière, les carottes sont cuites !". Et puis, il y eut l’exemple, déclencheur, d’Henri Salvador, dont plus personne ne voulait : son Jardin d’hiver s’est vendu à 1,6 million d'exemplaires ! Une véritable percée dans la muraille de Chine ! Je me suis dit : "Pourquoi pas moi ! "
A la fin de l’album, votre dédicace remercie "tous ceux qui ont fait de ce rêve tardif une réalité plein de promesse" …
Les personnes qui croyaient en mon retour, me disait : "Entoure-toi de jeunes musiciens !" Je rouspétais alors : "Allez me les chercher vous-même ces jeunes ! Je suis un ringard ! A chaque fois que je m’adresse à un jeune, je me prends un bide !" Et puis, de jeunes artistes me furent présentés. Parmi eux, le compositeur Philippe Loffedo connaissait Agnès Jaoui, qui a accepté, à ma grande surprise, de faire un duo avec moi (Décalage horaire). Mon moral a fait un bond. Plein de confiance, j’ai proposé un duo à Gerard Darmon et j'ai osé chanter avec ma fille Romélie. Et me voici en train de signer chez Dreyfus, le label de Biréli Lagrène et de Marcus Miller ! C’est l’épopée du grand-père volant ! Aujourd’hui, je suis un homme provisoirement très heureux. J’ai atteint l’état de grâce. J’ai le beurre et l’argent du beurre. Il y aura, bien sûr, quelques épines. J’ai trop vécu pour l’ignorer. Mais, pour l’instant, c’est inespéré !
Pour Décalage Horaire, vous avez délaissé le style qui fit votre gloire : le music-hall, pour vous concentrer sur une facette jazz-swing. Pourquoi ce changement ?
Plein de mon incompétence, j’ai fait confiance aux musiciens qui m’entouraient. Auparavant, j’écrivais des chansons, dans l’optique de mises en scène. Alors, mon style, il fallait le "désopérettiser" ! Lors de la gestation de Décalage Horaire, j’amenais des idées. Le petit gars Nicolas Richard (guitariste) tirait parfois la sonnette d’alarme : "opérette, ça, opérette !!"
En revanche, j’ai exercé mon droit de veto. Les jeunes ne voulaient pas que j’interprète Bleu, blanc, blond avec l’accent de Provence. J’ai donc refusé de la chanter. Trois autres de mes titres ont, par contre, été dépoussiérés !
Quel sérum de jeunesse que d’infléchir ses attitudes anciennes ! J’ai essayé de faire un effort, de ne pas me laisser aller à la facilité, à mes habitudes de chant. Maintenant, je sais exactement où j’en suis. Si l’on me critique, je peux répondre du tac au tac. Je suis serein.
Didier Lockwood, Gérard Darmon, Agnès Jaoui : comment avez-vous réussi à réunir un panel d’invités aussi prestigieux ?
En toute simplicité. J’ai appris, indirectement, que Gérard Darmon, appréciait mes chansons. Sans tourner autour du pot, je lui ai demandé de faire un duo avec moi. Je connaissais Didier Lockwood. Quant à Biréli Lagrène, il s’agit d’un pilier du label Dreyfus. Les relations sociales sont comme des approches amoureuses : des coups de foudre.
Avec le premier titre Démodé, vous adoptez une distance ironique envers vous-même ("Je suis largué ça fait peur/J’fais ricaner les rappeurs/Déjà au siècle dernier/ Je faisais fuir les yéyés") qui témoigne d’une remise en question et d’une étonnante modernité ?
Oui, je me paie ma propre gueule. Avec Salvador, je forme le festival des septuagénaires. Nous sommes, comme ça, quelques-uns à vider les asiles de vieillards. On se marre bien ! Mais attention, je suis has-been, ok, mais pas ringard ! Un ringard, c’est un mauvais qui se prend pour un bon. Alors qu’un has-been, c’est un mec dénigré par la jeunesse, mais qui possède un public jusqu’à la fin de ses jours.
Après avoir traversé un demi-siècle en tant qu’acteur de la variété française, que pensez-vous de son évolution ?
Peu importe ! Je ne suis pas le guide Michelin ! J’écoute du jazz, de l’opéra, et du flamenco, mais je reste curieux de ce qui se passe autour de moi ! Dans la masse, il y a des choses qui me plaisent, d’autres moins ! Le rap, par exemple, est intéressant parce qu’il exprime la révolte. J’avoue cependant que ça ne me branche pas des masses : j’aime quand ça chante! Je m’en fous, je suis mes goûts, et je ne suis pas du genre à tomber dans ces deux travers : "C’était mieux avant !" ou encore "Tout ce qui se fait aujourd’hui, c’est bien !" Je garde juste les oreilles grandes ouvertes !
Marcel Amont Décalage horaire (Dreyfus) 2006
Concert à Paris (Olympia) le 17 janvier 2007