Un Salvador brésilien

Sortir un disque à presque 90 ans, ça fait bien rigoler Henri Salvador ! L’enregistrer au Brésil - où il a démarré sa carrière dans les années 1940 - le chanteur ne l’avait pas prémédité. Et pourtant, c’est à Rio que la majorité des titres de Révérence a été façonnée. En toute simplicité et avec des pointures de la bossa nova brésilienne. Le pétillant crooner français raconte.

Une fausse Révérence

Sortir un disque à presque 90 ans, ça fait bien rigoler Henri Salvador ! L’enregistrer au Brésil - où il a démarré sa carrière dans les années 1940 - le chanteur ne l’avait pas prémédité. Et pourtant, c’est à Rio que la majorité des titres de Révérence a été façonnée. En toute simplicité et avec des pointures de la bossa nova brésilienne. Le pétillant crooner français raconte.

Pourquoi Révérence, le grand Salvador prendrait-il sa retraite ?
Ah ça non ! Révérence, c’est pour dire que je quitte la scène, mais en aucun cas le disque. Vous savez, les concerts, c’est fatiguant. Je suis un vieux monsieur, alors il ne faut pas que j’exagère… Je ne veux pas laisser au public une image de vieillard. Vous m’imaginez chantant avec une canne quand j’en aurais une (éclat de rire) ?! Les gens m’ont toujours connu alerte et jovial. Je ne veux surtout pas casser ça, d’autant que je me sens toujours plein d’énergie et débordant d’optimisme.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre l’avion direction Rio pour réaliser ce nouvel album, qui flirte avec le jazz et les musiques brésiliennes ?
Un concert de Caetano Veloso au Théâtre du Châtelet. Ce soir-là, il était accompagné d’un orchestre qui m’a époustouflé. Je me suis dit : il me faut l’homme qui dirige tout ça pour mon prochain album. Le type en question, c’était Jaques Morelenbaum, l’un des plus grands arrangeurs de bossa nova brésilien ! J’ai eu une chance terrible qu’il soit libre et se montre tout aussi ravi de travailler avec moi que moi avec lui. Pour lui faciliter la tâche - comme il parle brésilien et connaît plein de musiciens de bossa - je lui ai proposé de venir enregistrer au Brésil. C’était parti pour l’aventure !

Huit des treize chansons de Révérence ont donc été enregistrées au Brésil. Dans quelle ambiance s’est déroulé ce périple musical ?
C’était merveilleux. Je suis resté là-bas pendant un mois, en avril dernier, dormant dans un hôtel le long de la plage de Copacabana… Il y a pire comme conditions de travail ! Tous les matins (vu que je dors 12 heures par nuit) je me levais à midi. J’allais au studio seulement vers 19h, pour écouter ce que l’orchestre avait enregistré dans la journée. Et puis je chantais dessus quand c’était bon, ce qui n’a pas été trop difficile…

Vous aviez en effet un sacré casting côté musiciens…
Jaques Morelenbaum est très respecté dans son pays. Du coup, j’ai eu la chance d’être accompagné par des artistes qui jouent d’habitude avec Carlos Jobim, Chico Buarque, Caetano Veloso ou encore Marisa Monte. Ils étaient tous très professionnels, dociles et talentueux. Et, vu qu’il n’y a pas de grèves de métro là-bas, ils étaient à l’heure ! C’est précieux quand on fait un disque.

Comment se fait-il que Dans mon île, composé en 1957, soit présent sur cet album ?
C’est Jaques Morelenbaum qui a insisté. Au début, je n’étais pas chaud. Je lui ai dit : c’est une vieille chanson, je fais un nouvel album, je te signale! Il m’a répondu qu’au Brésil, c’était un énorme succès et que je me devais de la refaire, avec lui aux consoles. J’ai cédé… Un autre jour, alors que j’étais en train de chanter Cherche la rose, il est venu me voir en me disant que Caetano Veloso voulait la faire en duo avec moi. Je me suis donc retrouvé avec ce monstre de professionnalisme en studio ! C’était super. On avait à peine fini que Jaques me tape sur l’épaule : "Gilberto Gil aussi voudrait chanter avec toi !" Là je lui ai répondu : "vous allez me laissez faire mon disque à la fin !" (Rires) Tu parles, j’étais touché… Mais en fait, le duo qui est sur le disque est virtuel : Gilberto Gil était tout le temps en tournée en tant que ministre de la culture. J’ai donc enregistré ma partie de la chanson de mon côté, lui la sienne, et on a mixé le tout.

A 89 ans, votre voix reste d’une clarté incroyable. Quel est votre secret ?
Déjà, j’ai fait couper la clim’ dans le studio de Rio pour ne pas la bousiller ! Je pratique aussi le yoga de la respiration depuis 60 ans, ce qui m’a appris à ne pas forcer sur mes cordes vocales. Et puis, je sais me servir d’un micro. Quand je chante avec, je susurre pour faire passer plus facilement les émotions. Donnant l’impression que je suis en train de faire la cour à une femme en lui parlant doucement dans l’oreille… C’est mon truc !

Vous signez la plupart des musiques sur Révérence. L’écriture coule toujours aussi facilement ?
Oui, je n’ai aucun problème pour composer. C’est un amusement. J’écris tout le temps et j’ai des tonnes de chansons qui dorment : on me dirait de faire un disque demain, je pourrais. Après, trouver de bons paroliers, c’est de plus en plus difficile. Quand on a bossé avec un crack comme Boris Vian, on est exigeant… Depuis, je considère la chanson française comme une grande dame qu’il faut respecter. Alors quand on l’habille, il faut que ce soit le grand luxe ! Elle est tellement belle qu’elle mérite bien un millier de chansons. Je suis prêt à lui en écrire d’autres tant je trouve ça formidable de pouvoir encore composer des mélodies inédites en 2006 !

Henri Salvador Révérence (V2) 2006