TransMusicales 2006

Découvertes à foison

Tôt dimanche matin, les DJ’s ont clôturé, à Rennes, trois jours de furia sonique. Les 28e TransMusicales, sans locomotives internationales, affichent une fréquentation en baisse (23 500 entrées payantes), conforme aux prévisions des organisateurs. Côté français, Keny Arkana, Ezra et Cassius ont marqué une édition à nouveau fertile en découvertes.

Sans réelle tête d’affiche (la plus connue était Cat Power), les Trans ont démarré piano, jeudi 7, dans les quatre halls investis par le festival. En début de soirée, Hall 4, les Normands Porcelain,

très appliqués, ont mis un certain temps avant de trouver le bon tempo. Il faut dire que leur rock plein de distorsion monte par vagues progressives et s’apprécie dans la durée. Plus à l’aise dans leurs baskets, les Belges Montevideo ont, à leur suite, commencé devant une vingtaine de personnes, mais leur pop pleine de nerfs, bien que peu surprenante, a eu vite fait de rameuter des dizaines de festivaliers. Les vingt-huit Suédois surexcités de I’m From Barcelona, sautillant comme des puces autour du chanteur-guitariste Emanuel Lundgren, ont clôt la soirée par leur pop acidulée des plus plaisante.

La première prestation scénique du duo français Cassius était très attendue. Vendredi soir, Philippe Zdar et Hubert Boombass allaient-ils parvenir à transposer en live, avec des instruments, leur techno rouleau compresseur ? Ils l’ont fait ! Ils s’en tirent avec les honneurs, habitant la scène comme un vrai groupe (il y a un guitariste, un bassiste, un batteur, une choriste) et jetant des grenades techno qui mettent le feu au dancefloor du grand hall 9. En bémol, on regrettera une lecture trop fidèle des morceaux du dernier disque (dont un Toop Toop efficace mais sans surprise), et des adresses répétées au public un peu trop "brosse à reluire" pour paraître sincères. Ne boudons pas notre plaisir, on a quand même passé un bon moment.

Plus tôt dans la soirée, Orville Brody, le Rennais, jouait à la maison devant un paquet de fans. Entouré de ses Goodfellas, des costauds tatoués qui donnent habituellement dans le rock musclé, il joue une country coupée au rock’n’roll, labellisée US. Cette grande asperge blonde, stetson noir et veste en jean bleu cintrée, a gratté ses cordes vocales au papier de verre et ça sonne vrai. Rappel mérité.

La rage de Keny

Samedi, un peu après minuit, Keny Arkana, petite boule de nerf enturbannée d’un foulard blanc où est inscrit La rage du peuple - le titre de sa chanson phare -, fait salle comble. La Marseillaise arpente la scène comme une boxeuse et file des coups de poings, par micro interposé, à tous "les puissants qui dominent le monde." Pendant la conférence de presse d’avant-concert, elle n’avait que le mot "urgence" à la bouche. Alors sur scène, elle crache dix mots à la seconde, quitte à ce que ses paroles, pourtant primordiales dans sa musique, deviennent incompréhensibles. En fin de concert, elle commande une ola au public, qu’elle filme avec sa caméra DV ("Vous êtes trop beau, franchement, vous déchirez"), puis s’en va sur Nettoyage au Kärcher, condensé de fiel dirigé vers la classe politique… Une heure de communion particulièrement intense avec le public, sorte de concert-meeting truffé de harangues anti-libérales.

C’est dans les catégories hip hop et electro que les Français ont particulièrement brillé lors de ces 28e Trans. Vendredi soir, le beat-boxer angevin Ezra arrive sous les vivats et montre vite qu’il a dans la bouche une panoplie d’instruments insensés. Il bruite une batterie, une guitare électrique, des scratches, produit une ligne de basse tout en effectuant des beats simultanément, à la manière des chanteurs de musique diphonique. Bluffant, même si sa prestation solo de trois quarts d’heure s’essouffle un peu sur la fin. On le retrouve le lendemain au sein de Nouvel R, virevoltant groupe de rap au bagout impressionnant. Ils ont déjà leurs fans. Enfin, Justice, la nouvelle coqueluche des platines hexagonales, a montré qu’il n’a pas volé son récent statut. Le duo livre un mixe rock technoïde dans la lignée des 2 Many DJ’s. Pas un genou au repos dans la salle. Le groove s’étire, sans accalmie, pendant près de deux heures.

Retour au centre ville

On a retrouvé avec plaisir l’historique salle de la Cité, dévolue aux musiques du monde au sens large. Ce qui a permis à un public rebuté par les nuits marathon du Parc-Expo, de croquer quand même un bout de Trans. Les lieux "satellites" étaient d’ailleurs multiples. Peter Von Poehl et Olivier Mellano ont donné des créations à L’Aire libre et à l’Antipode, des salles de jauge moyenne, et des conférences suivies d’un concert show-case gratuit, ont eu lieu aux Champs libres, le nouvel équipement culturel rennais (bibliothèque, musée, auditorium) dessiné par Christian de Portzamparc.

Le festival a donc, une nouvelle fois, balayé tout le champ des musiques électrifiées d’aujourd’hui. En relevant le défi, pour la troisième année consécutive, de s’imposer dans les quatre halls sans âme du Parc-Expo, sis à la périphérie de la ville. Pari d’autant plus risqué qu’aucune tête de gondole internationale n’avait accroché l’affiche. Bilan : 23500 entrées payantes, contre 28000 l’an dernier. Une baisse de fréquentation que l’équipe du festival avait anticipé dans ses budgets. "On est en phase avec notre prévisionnel", affirme Béatrice Macé, co-directrice des Trans. Ce schéma, avec une programmation qui enfonce le clou de la découverte, sera donc vraisemblablement repris l’an prochain. "Les années passées, j’ai l’impression que la présence d’une tête d’affiche faisait basculer les Trans vers autre chose dans l’esprit des gens, explique Béatrice Macé. En supprimant un groupe, tous les autres sont à nouveau mis en visibilité." Une formule nouvelle pour un festival toujours en évolution.

Fabien Bidaud