DJ : où sont les femmes ?
Le monde des DJs est encore très masculin. Est-il possible d’exercer cette activité lorsque l’on est une femme ? Si l’idée est de plus en plus admise et devient réalité en électro, dans le hip-hop, la révolution féministe reste à faire…
Les filles investissent les platines
Le monde des DJs est encore très masculin. Est-il possible d’exercer cette activité lorsque l’on est une femme ? Si l’idée est de plus en plus admise et devient réalité en électro, dans le hip-hop, la révolution féministe reste à faire…
Alors que l’on attend toujours une réelle parité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle ou politique, la musique est-elle logée à meilleure enseigne ? En clubs, les femmes ne sont pas toujours minoritaires sur les pistes de danse, mais lorsque le regard se tourne vers la cabine du DJ, on ne les voit guère… Ou alors, il s’agit des quelques "stars" de la techno minimale comme Jennifer Cardini ou Chloé, l’arbre qui cache une forêt de DJ féminines méconnues. Ce métier, longtemps réservé aux hommes, n’a comme d’autres pas de féminin, ou alors "Djette", diminutif un peu réducteur.
Milieu masculin
Dans certains genres, comme la jungle, le hardcore ou le hip-hop, le public regarde encore avec perplexité une femme transporter sa caisse de disques vers la cabine DJ. Mais cela peut également être un argument original pour défendre une soirée. Un club parisien, le Triptyque, a lancé dès son ouverture en 2003, une soirée consacrée aux filles, intitulée Chiennes Hi Filles. Bénédicte Froidure, son instigatrice, se souvient : "Nous sommes partis du constat que les maisons de disques, les festivals, les salles de concerts ou le monde des journalistes restent un milieu très masculin. J’ai été très inspirée par le travail du Pulp (club parisien, NDLR) mais je souhaitais dépasser le strict cadre lesbien."
En trois ans, la soirée a par exemple accueilli Chicks on Speed, Mira Calix, le Tigre ou les Françaises Jennifer, Colleen, les trois DJ de Girl’s’n’Roses et Chloé. Le succès a été au rendez-vous. "À cela plusieurs raisons : l’effet Triptyque, des filles que le titre de la soirée faisait rire, des garçons venus parce qu’il y avait des filles, et d’autres pour la programmation" explique Bénédicte.
"Les filles restent vraiment minoritaires en France, ce qui n’est pas le cas à Montréal, où c’est devenu commun" relate DJ Missill. Que dire du monde du hip-hop où les filles chantent et dansent, tandis que les garçons rappent ou font les DJs ? "J’ai parfois l’impression que les organisateurs de soirées ou les DJs ont une appréhension. Mais de quoi ? Nous attirons davantage l’attention parce que nous sommes peu nombreuses. Du coup, il y a souvent du public qui m’observe ou me prend en photo" ajoute Miss DJ M.A.K., l’une des seules filles derrière les platines dans le hip-hop. "Et parfois, un mec vient manipuler les boutons de la table de mixage, comme si je n’y connaissais rien en technique !" s’amuse-t-elle.
Chemins détournés
"Le problème, c’est que certains nous mettent en compétition" explique Elisa do Brasil, un temps comparée dans le milieu de la jungle à Miss Ficell, DJ aujourd’hui expatriée. "Des organisateurs étrangers nous bookent parfois uniquement parce que nous sommes des filles" considère Elisa. Être reconnues en tant que DJ et non pas seulement comme filles DJ, ce n’est donc pas encore gagné…
Devenir DJ n’est plus aussi facile qu’autrefois. Les femmes doivent donc davantage faire leurs preuves dans un milieu où on ne leur fait une place que depuis peu, en ayant une bonne technique et une excellente sélection musicale. Avant d’atteindre les platines du Rex Club pour la soirée Massive, Elisa do Brasil a pris des chemins détournés : le bar dans des free parties avec le collectif Troubles Fêtes, vendeuse dans un magasin de disques, stagiaire dans une entreprise d’événementiel lors de la Techno Parade… Être là au bon moment peut faire bifurquer votre carrière. "La chance sans la passion ne sert à rien" rectifie Elisa, qui est depuis devenue la meilleure ambassadrice de la drum’n’bass en France.
Mais les femmes doivent aussi se démarquer. Certaines le font par leur sensibilité musicale, d’autres par leur style ou par l’image qu’elles véhiculent… "Être stylé, c’est super important dans la musique, mais il ne faut pas en faire trop, explique DJ Missill. C’est normal pour une femme d’être sexy, c’est naturel." Miss DJ M.A.K. a complètement pris le parti de la féminité et du glamour : "Je m’habille en jupe et talons, un peu pour jouer sur les contrastes." Si DJ Missill s’habille plutôt sportswear tendance hip-hop, c’est aussi par le graphisme de ses pochettes de disques et des flyers de ses soirées qu’elle s’est fait un nom et une image. Côté mix, elle a pris le parti d’utiliser un logiciel, Rane Serato, afin de pouvoir jouer des bootlegs ou des titres inédits. Les femmes prouvent qu’elles peuvent faire mieux ou différemment des hommes. Mais il subsistera une disparité entre hommes et femmes, obligeant ces dernières à s’éloigner des platines lorsque, comme Elisa, on attend un heureux événement…
Elisa do Brasil So Massive CD + DVD (UWe/Discograph) 2006
Missill Mash up (Discograph) 2006