Panorama 2006 du hip hop

Malgré le contexte toujours aussi difficile que traverse l’industrie musicale, le rap garde la côte auprès du public. Mieux, il se démocratise et s’ouvre au plus grand nombre en envahissant d’une façon spectaculaire l’espace public : émissions de télé, publicités, expositions, tout le monde veut "se la jouer hip hop" !

Le rap sort du bois

Malgré le contexte toujours aussi difficile que traverse l’industrie musicale, le rap garde la côte auprès du public. Mieux, il se démocratise et s’ouvre au plus grand nombre en envahissant d’une façon spectaculaire l’espace public : émissions de télé, publicités, expositions, tout le monde veut "se la jouer hip hop" !

Le retour des poids lourds

L’année 2006 aura d’abord été marquée par le retour fracassant de poids lourds du rap français. C’est Booba le provocateur qui ouvre le bal en février avec son audacieux Ouest Side, écoulé à plus de 200000 exemplaires. Un album aux productions ultra-soignées et aux textes incisifs qui permettent pour la première fois au MC de sortir de l’underground. Auparavant banni des médias généralistes, un peu apeurés devant ce "grand méchant rappeur", Booba passe désormais à la Star Academy et assume, au risque de s’exposer aux critiques des puristes. "Street crédibilité" contre plus de visibilité : le débat est lancé.

Akhenaton lui, a choisi : après des années passées au sein du carcan confortable des maisons de disques, le MC marseillais revient aux sources du hip hop en autoproduisant entièrement son nouvel album, Soldats de fortune. Un choix intéressant du point de vue artistique mais peu rentable niveau marketing puisque le rappeur a eu énormément de mal à faire rentrer ses titres sur les playlist radios. Un problème que n’a pas rencontré Sinik : révélation de l’année en 2005, il enfonce le clou en 2006 avec son deuxième opus, Sang froid, écoulé à 230000 exemplaires. En deux ans, le rappeur a su marquer de son empreinte le petit monde du rap français, à coups de rythmes efficaces et de rimes affûtées. Un succès fulgurant qui n’est pas sans rappeler celui du groupe Sniper avec leurs deux premiers opus en 2001 et 2003. Depuis, le trio de Deuil-La Barre connu pour ses frasques avec la justice, a pris de l’épaisseur et de la bouteille et nous livre en mai un album plus réfléchi, mais toujours autant ancré dans la réalité. Une recette qui marche puisque Trait pour trait dépasse les 180000 copies vendues.

Mais l’événement de cette fin d’année est sans contexte la sortie du premier album solo de la figure la plus controversée de la scène rap française : JoeyStarr. Huit ans après la séparation du mythique NTM, la voix animale du 9-3 rugit de nouveau sur Gare au jaguarr. Un disque unanimement acclamé par la critique dans lequel le rappeur n’a rien perdu de sa virulence et a gagné en "conscience citoyenne". À l’instar de Booba, il n’hésite d’ailleurs plus à profiter de la large audience de la Star Academy pour aller prêcher la bonne parole et inciter les jeunes à aller voter lors de la prochaine élection présidentielle ; impensable il y a encore deux ans !

(B-)Girl power !

Face à tant de testostérone, difficile pour les filles de faire entendre leurs voix. Et pourtant… si 2005 a été l’année de la résurrection de Lady Laistee, 2006 a vu l’avènement de la princesse Diam’s. Car c’est bien une femme qui a dominé la planète rap en explosant les ventes de disques avec Dans ma bulle, deuxième album le plus vendu en France en 2006 (650 000 copies), et des tubes à la pelle : du corrosif La boulette au sentimentalo-comique Jeune demoiselle en passant par la bluette pour ado Confessions nocturnes, Diam’s impose son style. Sa simplicité et son franc-parler plaisent au grand public et elle devient rapidement la coqueluche des médias. Il était donc naturel de la retrouver en octobre dernier sur scène, au Grand Palais, dans le cadre du week-end consacré aux cultures urbaines, organisé par le ministère de la Culture. Une exposition sans précédent pour le hip hop, d’habitude mésestimé par les pouvoirs publics.

Bref, les filles ont de la voix, et ne sont pas uniquement là pour se trémousser langoureusement dans les clips de ces messieurs ; Keny Arkana et Casey en sont les preuves vivantes. Souvent comparée à Diam’s, la première est une jeune rappeuse militante de 23 ans, dont le but est avant tout de faire passer un message. Altermondialiste et révolutionnaire, son premier album Entre ciment et belle étoile se nourrit d’une rage positive. Une rage qu’elle partage avec Casey, rappeuse hardcore intransigeante qui, après avoir hanté le hip hop français pendant plus de dix ans, nous livre enfin un premier opus sans complaisance envers la France et les politiques. Deux artistes avares en apparitions mais qui savent se faire entendre.

Slam, jazz, et volupté

Loin des formats rap habituels, plusieurs artistes ont profité de cette année 2006 pour ouvrir de nouvelles voies, comme en témoigne notamment le phénomène Grand Corps Malade. En l’espace d’un album, ce slameur parisien encore inconnu il y a un an, est passé quasiment du jour au lendemain des petites scènes ouvertes de slam aux feux des projecteurs via un véritable déferlement médiatique : presse, radio, télé, tout le monde s’est arraché ce "poète urbain". Son disque Midi 20 a squatté le haut des charts et compte aujourd’hui plus de 400000 exemplaires vendus. Un tour de force inespéré pour cet artiste atypique, qui aura permis au grand public de découvrir une nouvelle forme d’expression. Un style original, entre parole et musique, qui a également fait recette pour le rappeur Abd Al Malik. Apôtre du rap dit « conscient », son album Gibraltar en impose par la profondeur de ses textes et son flow impeccable de précision. Lauréat des prix Constantin et Charles-Cros, ses interventions charismatiques sur la banlieue notamment, en ont fait le client idéal pour toutes les émissions de débats politiques.

Rocé quant à lui, s’il évolue également entre rap et slam, a eu plus de mal à s’imposer au sein des médias traditionnels de par la dureté de ses textes. En posant des rimes de haute volée sur des instrus jazz de qualité, il nous a pourtant offert l’un des meilleurs albums hip-hop de l’année, Identité en crescendo, tout comme Oxmo Puccino et son Lipopette Bar ; une galette hip hop jazz savoureuse dans laquelle le rappeur tire le portrait d’une galerie de personnages en provenance direct d’un roman noir…

Et l’on termine ce tour d’horizon rapologique – non exhaustif – par les bonnes surprises de fin d’année, Puzzle en tête. Après six années d’absence, les quatre rappeurs "à poil sous leurs sapes" reviennent avec un album frais et décomplexé intitulé Viens m’chercher. Du rap tout public donc, contrairement au hip hop déjanté des TTC, même si leur nouvel opus intitulé 3615TTC se veut plus épuré et accessible  que les précédents. Sorti le 26 décembre, c’est un joli cadeau de Noël que nous font ces généreux "bâtards sensibles" !